28 novembre 2013

Fiche artiste de The Verve



The Verve


Tout le monde connaît Urban Hymns, un des grands albums des années 90, mais tout le monde ignore que la bande à Richard Ashcroft baigna à ses débuts dans un shoegaze, à forte valeur psychédélique.
L'irruption dans les charts avec "Bitter Sweet Symphonie", tube de l'été 1997, fut considéré comme la brusque renaissance d'un groupe, presque sorti de la tombe. Car avant cette célébrité, tant désiré (Richard Ashcroft ayant eu cette déclaration : « Nous avons notre place dans l’Histoire. Cela nous prendra peut-être trois albums, mais nous y arriverons »), ce ne fut qu'une accumulation de galères.
Bien que chouchouté par les médias à leur début, les ventes eurent beaucoup de mal à décoller, et The Verve fut vite considéré comme d'éternels perdants.
Auparavant connu sous le nom de Verve, le groupe comprenait Richard Ashcroft, le guitariste Nick McCabe, le bassiste Simon Jones et le batteur Peter Salisbury. Dès le départ, la formation acquiert une solide réputation, grâce au magnétisme de Richard Ashcroft, vite décrété rock star glamour, et au travail graphique de Brian Cannon sur les pochettes. Les premiers singles : « She's a superstar » ou « Gravity Grave » font sensation dans le milieu, réussissant même à se classer n°1 dans les charts indé. Quant au titre « Man called sun », il servira à donner le nom au groupe Brit-Pop, Mansun. Très vite, ils font les couvertures des magazines. The Verve aurait pu profiter de l’aubaine et monter dans le train de la Brit-Pop. Au lieu de ça, il signe un album qui s’inscrit complètement dans le style shoegaze. Car il ne faut pas se leurrer, malgré tout ce que le groupe dira par la suite pour s’en défaire, A Storm in Heaven, sorti en 1993, est un album de pur shoegaze. Peu de gens le savent d’ailleurs.
L'album est un échec commercial, malgré la bonne presse. Et la tournée qui suivit, avec une apparition sur la scène de Lollapalooza, fut catastrophique : Richard Ashcroft fut hospitalisé suite à une trop forte déshydratation et Peter Salibusry fut arrêté pour avoir saccagé une chambre d'hôtel alors qu'il était shooté. De plus le label de jazz, Verve Records leur colla un procès, et le groupe fut obligé d'ajouter un "the" devant leur nom.
Et ce n'est pas l'album suivant, Northem Soul, qui allait arranger les choses. Enregistré sous forte consommation de narcotiques, l'album se pert dans des délires très personnels, qui ne sera pas suivi. A noter cependant le concours de Noël Gallagher, grand ami du groupe. Trois mois seulement après sa sortie, le groupe se sépare.
Bien que Richard Ashcroft remit le groupe sur pied bien vite, le guitariste Nick Mc Gabe refusa d'y prendre part. Le groupe fit d'abord appel au guitariste de Suede, Bernard Butler, mais celui-ci ne resta que deux semaines, et fut remplacé par Simon Tong, avec qui ils écrivirent quelques chansons. Nick Mc Gabe décide enfin de revenir en 1997, pour l’enregistrement de Urban Hymns.
Cet album de la rédemption permit au groupe de connaître enfin la gloire. Emmené par son single, "Bitter Sweet Symphony", basé sur une boucle d'une chanson des Rolling Stones, qui se classe directement n°2 dans les charts, le groupe change de style et n'hésite plus à se faire poseur. Parvenu au rang d'une des meilleurs formations anglaises, The Verve gagne en notoriété, accumule les récompenses au Brit Awards, et explose les charts, avec ses nombreux singles, plus tournées vers de belles ballades à la guitare sèche, tout en gardant un certain goût pour le psychédélisme.
Seulement le groupe a du mal à gérér son succès si soudain, qu'il estime ne pas mériter, et les égos de chacun des membres grossissent à tel point que le groupe se sépare, cette fois-ci pour de bons, en 1999.
Chacun se lanca dans des projets, Peter Salisbury remplaçant avec les Black Rebel Motorcycle Club, Nick Mc Gabe en tant que producteur, Simon Tong avec Gorillaz en tant que guitariste de studio, mais c'est surtout la carrière solo de Richard Ashcroft que l'on retiendra.

9 novembre 2013

Fiche artiste de Shapeshifter

Shapeshifter

Groupe radical et furieux de la scène de Minneapolis, avec February ou Colfax Abbey.

21 septembre 2013

Fiche artiste de Kitchens of Distinction



Kitchens of Distinction

Dan Goodwin, Patrick Fitzgerald et Julian Swales sont trois amis inséparables amoureux de dream-pop et de shoegaze apprêté. Ils livreront quelques albums réussis sans arriver toutefois à percer vraiment. La faute à un style qui refuse la modernité et se complaît dans un monde féerique dont les gens finiront pas décrocher. Sans compter les effarants préjugés dont le groupe fut injustement la victime...



23 juillet 2013

Fiche artiste de Morella's Forest

Morella's Forest

Groupe chrétien du label culte Tooth and Nail, évoquant aussi bien Pale Saints, Lush, Cocteau Twins que The Breeders ou Throwing Muses.

11 juillet 2013

Kitchens of Distinction : Love is hell

Love is hell de Kitchens of Distinction

Sortie : 1989
Produit par Kitchens of Distinction
Label : One Little Indians

Alors que le groupe livre là son premier album, faisant apparaître pour la première fois ce son si particulier, à base de surcharges constantes, tout le monde interprète cet euphuisme comme la preuve de vouloir être le porte-drapeau de la communauté gay, ce qu’ils n’étaient absolument pas le cas. Même s’il faut dire que la pochette n’aide pas, la confusion a empêché de s’intéresser à cette musique si particulière, pompière et saturée.
Bien-sûr, on ne va pas se mentir, ce premier album n'est pas le meilleur de Kitchens of Distinction, qui sortiront deux chefs d'œuvre par la suite. Cela sonne un peu brouillon, notamment dans la production, qui a un peu de mal à gérer cette surenchère, sans vraiment réussir à équilibrer toutes les parties, guitares ou percussions ou voix. « Hammer » par exemple. Et le tempo est souvent lancinant, voire un peu soporifique, ce qui ne rendra pas service aux montées en puissance qui se veulent époustouflantes, mais sonnent un peu incongrues (« Shiver »). Le chant n'est pas encore tout à fait assuré.
Mais on devine déjà une qualité d'écriture nettement au-dessus de la moyenne, en témoignent les excellents « Prize » ou le célébrissime « The 3rd time we opened the capsule ». Les guitares remplissent tout l'espace, qui se veut le plus travaillé possible, le plus raffiné. Elles peuvent être féériques, lancinantes ou saturées, du moment qu’on a cette tenace impression qu’elles surgissent d’un monde luxueux. On sent d'ailleurs toute l'influence dream-pop, avec « Time to groan », qui évoque AR Kane.
Il ne s'agit donc que de prémisses, une sorte d'introduction à l'univers unique de Kitchens of Distinction, une sorte de passerelle entre la new-wave des années 80 et le shoegaze grandiloquent à venir (le magnifique « In a cave »).

14 juin 2013

Fiche artiste de Catherine

Catherine

Catherine est un groupe de power-pop, mâtiné de grunge, comme il pouvait en exister des centaines durant les années 90. Très proche des Smashing Pumpkins, on s'intéresse à eux pour leur tout premier single, une curiosité shoegaze américaine surprenante.

5 juin 2013

Kitchens of Distinction : Strange Free World


Strange Free World de Kitchens of Distinction

Indispensable !

Sortie : 1990
Produit par Hugh Jones
Label : One Little Indian

Dès les premières notes, celles de « Railwayed », cette tornade de guitares et cette explosion d'effets fantaisistes, on est littéralement béats devant le monde féerique de Kitchens Of Distinction. Classieux, maniérée et raffinée, sa pop-rock émerveille à force d'éblouir comme des paillettes étincelantes. Que ce soit sur un rythme tournoyant (« Quick as raibow ») ou un crescendo vaporeux (« He holds her, he needs her »), impossible de décrocher. On reste enchanté par tant de virtuosité et d'intensité.
Pourtant leur deuxième opus, Strange Free World est une pure merveille où l'accrochage sonore fait place à une superposition de textures incroyables, de guitares carillonnantes, de vagues romantiques et d'effets de production imaginatifs (grâce à Hugh Jones). On est vite subjugué par ces cloches, ces étincelles, ces feux d'artifices qui tombent en pluie pour couvrir d'or des chansons impeccables. On sent clairement le groupe en parfaite maîtrise technique et assumant pleinement son univers.
L'emphase ambiante qui sert d'apparat à l'album n'hésite pas à surcharger les effets, jusqu'à noyer les mélodies accrocheuses, dynamiques, sous un flot incroyable d'arrangements mirifiques, tout droit sorti d'un rêve fantasmagorique, comme si les membres du groupe refusaient d'accepter la dure réalité de leur spleen, préférant le polir, l'enrober de decorum artificiel et féérique. Quitte à passer pour des romantiques décalés, ils réussissent tout de même à transformer des morceaux, « Polaroids » ou le magnifique « Drive that fast », en déferlante savoureuse de fantasme onirique.
Ça n'arrête pas, ça va vite, c'est tourbillonnant, un vrai kaléidoscope.
De bout en bout on a l'impression d'être dans un rêve où la magie aurait tous les pouvoirs. Rien n’est refusé, tout s’accumule, claviers, guitares sèches, coups à la batterie, tambourins, réverb, distorsions, arpèges, basse, c’est un véritable mur du son magique qui se déploie. C’est une musique à la fois terriblement ancrée dans son époque et en même temps éternelle, car tellement onirique. Kitchens Of Distinction est décidément un groupe à part, prodigieux et décalé. 

17 mai 2013

Fiche artiste de Catherine Wheel


Catherine Wheel
Pour ce groupe de Norwich, bien éloigné de la gargouillante Thames Valley, tout a pourtant démarré très vite, et ils sont les premiers à avoir signé sur une major. Ce qui ne les a pas empêchés de proposer un shoegaze vitaminé et classieux, en dépit des réserves légitimes qu’on pouvait attendre de la part d’une telle structure. Comme le résume Rob Dickinson, le chanteur de Catherine Wheel : « On n’a pas vendu des millions d’albums et on n’est pas devenu des rock stars, mais je ne suis pas sûr que c’était le plan. (…) Le principal a été préservé, qui est tout de même la musique. On n’a jamais été pressé par notre label à faire certains types de disques ou répéter une formule gagnante. C’est presque bizarre, au vu de tout le fric brassé par le label, qu’on ait pu être autorisé à faire ce qu’on voulait, ce qui n’arrive pas souvent. On a été un des derniers groupes à agir de la sorte, avant que la porte se referme et qu’ils adoptent une posture différente. »[i]
Comment un tel groupe shoegaze a pu intéresser à l’époque une major ? Certainement par l’entremise d’un réseau indépendant, qui n’existe plus aujourd’hui à Norwich, à savoir tout d’abord Barry Newman, le fameux propriétaire du Wilde Club, et ensuite par John Peel, célèbre animateur de la BBC. En effet, le 24 septembre 1990, Catherine Wheel joue donc son premier concert au Wilde Club, en compagnie de The Bardot, autre groupe du sérail. Leur prestation enlevée et hardie, leur permet de taper dans l’œil de Barry Newman. A ce moment le groupe comprend Rob Dickinson, Brian Futter, Neil Sims et Dave Hawes, tous enchainant les petits boulots pour survivre. Il décide de les prendre sous son aile pour les promouvoir et publie un premier single en 1991. Cette première compilation obtient de bonnes critiques, dans toutes les revues spécialisées et les fanzines, sans pour autant réussir à dépasser le cercle restreint de la scène de Norwich. Ils étaient loin de s’imaginer ce qui allait arriver par la suite. Une nuit, alors que Neil faisait des heures sup’ à son boulot (il travaillait à l’époque dans une société de raffinerie pétrolière) et s’ennuyait devant son écran d’ordi, il tombe des nues à la radio. Il ne pouvait pas y croire : John Peel était en train de diffuser une de leur chanson ! Et les choses s’accélèrent avec Fontana qui leur tend les bras.
Pour enregistrer leur premier album, les membres du groupe étant de grands fans de Talk Talk, décident de faire appel à leur producteur, Tim Friese-Greene. En studio, il réussit à capter la puissance du groupe, à clarifier le son des guitares, à renforcer la section rythmique, jusqu’à rendre épiques certains morceaux, comme « Black Metallic », étendu sur sept minutes. Il fut à ce point responsable du son de Catherine Wheel que d’aucuns considèrent qu’il était le cinquième membre du groupe, comme il était le cinquième membre de Talk Talk. Rob Dickinson décrit comment ils ont obtenu ce son intense, presque gonflé : « On a enregistré nos premiers single dans la chambre de Brian sur un 8-pistes, donc on n’avait pas trop de couches de guitares jusqu’à ce qu’on travaille avec Tim. Il a tenu à utiliser des pédales d’effets et des amplificateurs de sons pour expérimenter. Ça nous a donné ce son tout en texture sur notre premier album car sur certaines chansons, il y avait jusqu’à quatre guitares rythmiques empilées les unes aux autres. A partir du moment où vous mettiez plus d’une guitare, le simple fait de ne pas pouvoir les jouer de la même manière à chaque fois, donnait un effet chorale, une sorte de son éthéré. »[ii]
Hélas, la scène de Norwich souffre de son isolement. Si Catherine Wheel souhaite davantage se faire connaître après cet album, il faut se produire à Londres. Ils essayent de percer là-bas, multiplient les concerts avec Slowdive, Ride et compagnie. Mais ils tentent de garder leur distance, ont du mal à s’inscrire dans ce cercle fermé d’amis et ne veulent pas s’éterniser dans un style shoegaze qu’ils jugent nombriliste. Le fait qu’ils soient un des rares à être sur une major n’a pas non plus facilité leur intégration. Rob Dickinson regrette que la façon dont le shoegaze a été traité : « NME a été grandement responsable de ça. Ils ont promu une scène exprès pour mieux la critiquer quelques mois plus tard. Mais au final [ces scènes qui apparaissent] ça fait avancer les choses, ça apporte un vent de fraîcheur. Donc le shoegaze a pu finalement avoir ses dix minutes de gloire, en pleine lumière. »[iii] Du coup, pour les albums suivants, même si peut conseiller le très bon Chrome en 1993, le raffinement servi dans un fracas fabuleux est abandonné au profit d’un style plus rentre dedans, voire de plus en plus ouvertement tourné vers les Etats-Unis, dans une volonté de se détacher d’une scène encombrante. Rob tente pourtant de se justifier : « Avec le recul, s’impliquer [dans la scène shoegaze] était une chose juste à faire lorsqu’on a démarré, d’autant que venant d’un trou paumé d’Angleterre, ça ne pouvait pas faire de mal d’appartenir à quelque chose. Ça signifiait qu’on venait de passer le premier niveau sur l’échelle de la considération. Puis c’est devenu [un style] ringard et ennuyeux au bout de quelques mois, et complètement hors de propos encore quelques mois plus tard. On n’a pas cherché consciemment à nous extirper de ce bourbier, c’est juste que le groupe a changé. »[iv] Sauf qu’à force de s’éloigner de leur style d’origine, c’est la Brit-Pop qui rafle la mise, condamnant le groupe, malgré un succès d’estime outre-Atlantique, de se séparer au début des années 2000. Dave Hawes regrette : « Ce fut une spirale infernale. Des ventes décevantes, des problèmes au sein du label, les égos… une concoction de choses et d’autres. C’est une honte la façon dont ça s’est fini. »[v]




[i] Interview de Rob Dickinson par Nancy J Price, sur She knows, 22 mars 2010, [en ligne] http://www.sheknows.com/entertainment/articles/7537/questions-with-rob-dickinson-formerly-of-catherine-wheel
[ii] Rob Dickinson cité par HP Newquist, sur Guitar International, décembre 1993, [en ligne] http://guitarinternational.com/2010/08/21/catherine-wheel-spinning-textures-in-chrome/
[iii] Interview de Rob Dickinson par Carlos Ramirez, sur Ultimate Guitar, 8 juillet 2008, [en ligne] https://www.ultimate-guitar.com/interviews/interviews/rob_dickinson_the_songs_are_snapshots_of_different_times_in_my_life.html
[iv] Interview de Rob Dickinson par Dave Robbins, sur Radcyberzine, 1995, [en ligne] http://www.radcyberzine.com/text/interviews/CathWeel.int.g.html
[v] Interview de Dave Hawes sur When the sun hits, 25 octobre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/10/interview-dave-hawes-of-catherine-wheel.html

Catherine Wheel : Ferment


Ferment de Catherine Wheel

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Tim Friese-Greene
Label : Fontana

Impeccable, soigné, élégant, Catherine Wheel fera de son premier album un véritable coup de maître tant il n'y a rien à redire sur ce sommet.
Le goût très prononcé pour les mélodies fines et racées conjugué à des guitares incisives, permet d'inscrire Ferment dans le Top Ten des albums shoegaze anglais. En tout cas c'est un excellent et très accessible moyen de démarrer dans cet univers.
Voix exagérément raffinée, maestria sonore, guitares déchaînées, mélodies suaves, aucune imperfection ne vient perturber ces chansons de grandes classes. Le single "Black Metallic", les somptueux "Texture" ou "Indigo Is Blue" sont des exemples éminents du suprême rang que pouvait atteindre ce groupe repéré par Tim Friese-Greene, le membre de Talk-Talk qui se mua producteur pour l'occasion. C'est tourbillonnant, à force de lancer les guitares dans un vortex dévastateur, on ne sait plus où donner de la tête. Ici, les effets de pédales ne servent pas qu'à créer un brouillage opaque de saturation, mais à sublimer les parties de guitares, très travaillées et ornementées, ce qui donne lieu à de superbes passages instrumentaux. Entre le tubuesque "I want to touch you", et le fracassant « Bill and Ben », c’est tout un univers sombre, parfois violent, que dépeint le groupe, tout en restant raffiné et glamour.

Rob Dickinson a une façon de chanter toute particulière. Il ne fait qu’aspirer, ce qui donne du volume et de l’aération, tout en lui octroyant un petit côté gentleman et policé. 
Catherine Wheel, c'est la distinction, le raffinement servi dans un fracas de guitares fabuleux, un style impeccable qui subjugue les compositions vers des brûlots enrobés de dorures et d'éclats. C'est lumineux, ébouriffant et énergique.
Une œuvre remarquable, petit bijou pop dans un écrin de verre.

16 mai 2013

Catherine Wheel : Chrome


Chrome de Catherine Wheel

Sortie : 1993
Produit par Gil Norton
Label : Fontana

Produit par Gil Norton (Pixies), le deuxième essais des musiciens anglais de Catherine Wheel, un des plus fiers représentants de la vague shoegazing, sonne nettement plus dur et emporté que son prédécesseur.

Les guitares déchaînées fusent et impriment un ton puissant et sans limite ("Kill Rythme" ou le colossal "Crank") tandis que la batterie cogne avec vigueur et que les soli lourds et venimeux essayent de se sortir de ce mur du son ébouriffant. Le chant de Rob Dickinson, moins aérien, se fait hurlant quelques fois, souvent énergique ("Chrome"). Peu de temps de souffler au cours de cet opus dense et consistant.

Le dynamisme et la puissance sonore n'empêchent cependant pas une grande maîtrise de l'écriture, toujours aussi élégante et sophistiquée ("Broken Head" ou l'excellent "Chrome"). Le son pesant et saturé n'interdit en aucun cas des dérapages planants du plus bel effet ("I Confess" et sa coupure de rythme incroyable) où chaque bulle d'oxygène est vécu comme un moyen de s'évader de cette chape de plomb que constitue ce marasme de guitares. Les voix s'envolent souvent et atteignent alors ce degré de volubilité qui fait tant le charme du groupe. Mais bien que l'ambiance soit à l'élégance esthétique ("The Nude"), on revient vite vers une fureur sans égale, comme si elle était associée inévitablement à l'expression de la beauté (on retrouve cette contradiction sur "Pain" par exemple).

Magnifique de densité tragique comme artistique, Chrome est un album écrasant mais qui met alors plus en valeur la cotation des ardeurs stylistiques qu'affectionne le groupe. Les titres, tous réussis, sont de vrais morceaux de finesse, cachés sous un déferlement cathartique. Sous des dehors agressifs et confondant de rugosité, Catherine Wheel manie la poésie avec perfection.

La preuve sur le long et aérien "Fripp", seule chanson reposée où le groupe se laisse aller à un détour atmosphérique, rêveur, féerique et dont la tournure laisse pantois. Une grâce absolue qui finalement se veut être son éternelle ambition.

12 mai 2013

Fiche artiste de Pale Saints


Pale Saints

Figure de proue du label londonien 4AD, en compagnie de Lush, Pale Saints est à la fois un des plus éminent représentant de la pop anglaise, et à la fois un des plus décalé. Notamment parce qu'il était mené par Ian Masters, ce doux-dingue, qui a finit traumatisé par la lumière des projecteurs et s'est retiré du show business, pour laisser la place à Meriel Barham.




11 mai 2013

Pale Saints : The Comfort of Madness


The Comfort of Madness de Pale Saints

Sortie : 1990
Produit par Gil Norton
Label : 4AD

A entendre ces détours déchaînés et frapadingues, cette voix distante, éthérée et neurasthénique, ce shoegazing à la fois délicat et cramé, on reste éberlué.

Une sorte de lenteur contagieuse finit toujours par rattraper le déferlement de guitares soniques pour le plonger dans une froideur et un détachement saisissant. Les guitares sont utilisées comme des coups de ciseaux, la basse un câble d'aluminium et la batterie un maillet, mais les martèlements froissent à peine une feuille de papier. Les notes miraculeuses et les arrangements magnifiques sortent d'un fouillis sonore comme par enchantement ("Way the world is" ou bien "Feel from the sun"). Une torpeur s'installe au beau milieu d'explosions, de vacarmes et de déflagrations en tout genre. C'est vraiment étrange.

Ian Masters est un doux dingue, envahi de névroses et de fantômes intérieurs. Il chante comme un ahuri par-dessus une démolition en règle. A partir de pulsions maladroites et maladives, il arrive à faire de sa musique une révélation. A partir d'un acharnement sonore, il la guide vers une lumière brumeuse mais somptueuse dont on ne sait si elle est bonne à contempler. Sa voix est détachée, les guitares se crispent sans raison et la batterie cogne pour rien, si bien qu'on se demande pourquoi faire tant de bruit pour dire des choses si douces.

Ça ressemble à un tir de pistolet dans un oreiller ("You tear the world in two"), une sorte de feux d'artifices de plumes ("Insubstancial" et sa basse géniale). On perd pied. Derrière les mélodies évidentes se cachent des signes de folie, à chaque détour on risque d'être surpris par quelques bruits dadaïstes ou une saturation électrique. Chaque morceau semble être accompagné jusqu'au suivant par une continuité expérimentale, composée de petits bruits blancs ou de trafiquotage de studio. Mais ces difficultés (ce premier opus n'est pas un modèle d'accessibilité mais reste une des pièces maîtresses du shoegaze à réhabiliter) rendent l'ensemble attachant, intriguant et sans conteste très beau. A l'instar de "Sight of you" ou du délicat et fragile "Sea of wound". D'après le titre de l'album, ne serions-nous pas en effet dans un monde où la démence est la loi, la raison passible de sentence ? L'univers même où habite Ian Masters ?

Sur la corde raide, on marche en équilibriste au beau milieu d'une construction qui se démolit à chaque chanson, un labyrinthe dont le plan se modifie à chaque fois, un palais des glaces dans l'obscurité. La magnificence, la grâce n'ont jamais paru aussi fragiles. Les définitions se brouillent. Le chant de Ian Matters semble si doux qu'il en devient irréel. Il nous renvoit non pas à ce qu'on recherche dans sa musique -il l'ignore lui-même-, mais sur cette propre recherche. Toutes les interrogations suscitées, la foule d'émotions ressenties devant cette œuvre hors-norme apparaissent comme des trésors. Des trésors de beauté et de finesse.

Car la musique de Pale Saints, aussi étrange qu'elle puisse paraître, est belle et mélodieuse à en pleurer.

Pale Saints : In Ribbons


In Ribbons de Pale Saints

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Hugh Jones
Label : 4AD

Réussissant à enfin concilier assurance et désir de quelques coups de folie, ce deuxième album est parfaitement maîtrisé, un sommet du mouvement shoegaze, pourtant décalé et déstabilisant. Intégrant les larsens et autres réverbérations de manière parsemée, multipliant les coupures de rythme destinées à perdre l'auditeur dans ce dédale musical, saturant, par un mur du son très travaillé, l'espace nécessaire à la distinction, In Ribbons est là pour couper tout contact avec la réflexion, habituel parasite à l'évasion.
Les petits hoquet de Ian Masters sur "Throwing Back the Apple" ou bien les caisses de batterie martelées sur "Ordeal", tandis que les guitares saturées s'amusent à tisser une toile dans laquelle on ne peut que s'engluer, nous rappelle à quel point on peut se perdre facilement dans la contemplation de ces morceaux admirablement construits, d'une douceur incomparable, proche du rêve à l'état pur, tout en gardant un décalage suffisant pour être novateur.
Bien souvent on atteint des états de grâce, de magie cristalline, comme sur "Thread of light", "Featherframe" ou "Shell" et ses violons larmoyant. Le tourbillon de plaisir qui nous saisit à l'écoute de ces morceaux, chauds, puissant et savoureux comme du caramel, piquant parfois ("Babymaker"), ne contient aucune baisse de régime, mais accélère son pouvoir centrifuge d'attraction, au fur et à mesure de l'écoulement de l'album. Il ne subsiste que cette impression de vertige, renforcée par des brouillages, des voix lointaines et suaves, et des guitares tremblotantes comme des chants de baleine dans la brume (le déstabilisant "Hair Shoes"). Ici, la simplicité rejoint la pureté. Pas de surenchère, pas de maniérisme, juste des boucles mélodiques qui s'étirent à l'infini.
Le chant de Ian Masters (auquel peut s'ajouter celui de Meriel Barham, transfuge de Lush) rêveur, aspiré, éthéré et d'une beauté sans équivalent, sème le doute: dénué de tout affect, hormis pour sa simple expression, il semble si irréel que l'on voyage dans des royaumes inconnus et merveilleux. Cela ressemble à une voix d'ange (‘’Hunted’’) ou plutôt à celle d'un fantôme (‘’Shell’’) : c'est-à-dire décharné et réduit à sa propre essence. Tout réside alors dans son association avec les guitares saturées, quasi-transcendantales, ainsi qu’avec une batterie ébouriffante.
C'est que cette musique possède quelque chose en plus, que les autres non pas, une envie inexpliquée de vouloir toujours partir sur d'autres sentiers, de ne jamais se cantonner à une seule mélodie par chanson, ou un seul climat, incluant des passages d'une douceur extrême à des moments presque brûlants, à grand coup de guitares noisy et électriques. Et les atmosphères plus calmes atteignent souvent des sommets de captation, toujours tendus, sur le fil, toujours déviant. Les slides plaintifs de "Neverending night" serrent la gorge, et malgré une basse cajoleuse, on ne cessera jamais d'avoir la sensation d'être trop petit pour contenir toutes les émotions qui vont nous envahir à l'écoute de ce morceau déchirant et d'une beauté langoureuse à couper le souffle. Et lorsqu'on achève l'écoute sur ces légères notes flottantes, on se croirait face à un mirage sonore. On se dit que l'on ne reviendra jamais d'un tel moment où l'on côtoie une telle féerie, et pourtant à chaque fois une couche en plus d'instruments vient se superposer à l'ensemble ("A thousand stars burst open") jusqu'à créer une connexion entre cette musique et notre corps.

8 mai 2013

Kitchens of Distinction : The Death of Cool


The Death of Cool de Kitchens of Distinction

Sortie : 1992
Produit par Hugh Jones
Label : One Little Indian

A l'occasion de son troisième album, le groupe britannique décide d'assombrir son ton, et de se lancer dans une démonstration plus magistrale, plus étirée et plus planante parfois.
Chaque passage éclatant est construit de façon magistrale, par une superposition instrumentale et une surenchère frénétique, jusqu'à un épanouissement torturé. Cette musique irradie comme une lumière jaillissante mais troublée. Le trio anglais tire de leurs instruments et surtout d'une production sublime (due au bidouilleur qu'est Hugh Jones) toutes les possibilités pour atteindre une grâce sans pareil (« What happens now ? » ou « When in heaven »). On reste conquis devant ces démonstrations splendides, ces confettis sonores, cette corne d'abondance, ces effets stroboscopiques atteignant des degrés d'intensité inégalés (« 4 Men » et ses ‘’aaah yiiii huuuuuh’’).
La musique de Kitchens Of Distinction est affligée, exubérante, luxueuse et nouvelle. Elle est l'occasion à chaque fois d'un voyage imaginaire et fantasmagorique, vers un monde présidé par la sensibilité exacerbée de ce groupe atypique, ainsi que par ses doutes, voire de la colère. The Death Of Cool est leur troisième album mais sans doute leur plus varié et étoffé. Les morceaux prennent le temps de monter en intensité, certains sont aériens et trainants, soulignés par des réverbérations perdues (le superbe « On tooting broadway station »). D’autres sont plus obscurs encore, souterrains et étranges (« Gone Word Gone » et son intro à la basse). Mais dès que le groupe laisse sa puissance inonder au cours d'une tempête saturée, c'est un véritable mur du son qui s'impose, brillant, ébouriffant et tourbillonnant. Les nappes d'effets, les déferlantes de guitares, cette magie ambiante et marque de fabrique du groupe, élèvent les compositions pour leur confier une valeur proche du sublime (« Blue Pedal » qui se termine en apothéose). Comme tout groupe de shoegazing de l'époque, ce ton saturé n'est qu'un miroir déformant à la mélancolie et la rêverie.
On a bien du mal à revenir après la fin de l'écoute. Kitchens of Distinction assume sa mélancolie (le faux-tranquille « Mad as snow ») jusqu'à se laisser perdre lui-même et s’envoler très haut.

4 mai 2013

The Verve : The Verve EP



The Verve EP de The Verve

Sortie : 1992
Produit par Barry Climson
Label : Hut


Seul témoignage des débuts shoegaze du groupe de Richard Ashcroft, où on peut constater que sa voix, encore très aérienne, dégage une haleine sans doute pas très licite, on retrouve ce premier maxi où figurent cinq titres, chacune déclinaison de contemplations romantiques.
C'est lent, très long, vaporeux et rêveur. Empreint d'un psychédélisme total, chaque morceau étant une ode aux drogues, ce maxi met en exergue l'hébétude et rapproche les termes "cool" et "paresse". Le temps s'étire à l'infini pour parvenir à un nœud spatio-temporel où on se fige dans un hébétement total, post-mortem et aérien. Petit à petit l'intensité augmente à mesure que les instruments sont attirés vers ce siphon sonore.
A l'écoute de "She's A Superstar", un des premiers single du groupe, son riff magique, sa langueur, ses guitares en plaintes de baleines, sa petite guitare sèche féerique, son chant adoucie, sans doute un des plus grands morceaux shoegaze jamais écrit, mais mini-hit raté par un public qui attend qu'on lui offre tout sur un plateau, on se dit qu'on atteint là un des sommets du genre.

23 mars 2013

Pale Saints : Slow Buildings


Slow Buildings de Pale Saints

Sortie : 1994
Produit par Hugh Jones
Label : 4AD

A l’écoute de l’intro transcendantale et d’influence presque africaine de ‘’King Fade’’, de sa trompette fantomatique ou de ses slides perdus, on se dit que le groupe a su garder son goût pour l’étrange. Bien-sûr, l'absence de ce compositeur/parolier de génie se fait ressentir mais cela n'empêche pas Slow Buildings d'être suffisamment riche et intéressant en soi.
Toujours finement racé et vaporeux, le chant de Meriel Barham brille froidement tout du long. Bien-sûr le groupe ose quelques excursions vers une pop très accessible. Des titres comme "Angel" ou "Under your noise" sont de purs délices simples et efficaces. Ils pourraient même constituer une très bonne leçon pour ceux qui appréhenderaient découvrir le shoegaze. La voix de Meriel se fait tout autant douce qu’enjouée. Mais globalement, réduire ce qu’est devenu le groupe à ces morceaux, serait occulter les prises de risques. Car sur l’ensemble de l’album, le son est plus lourd et plus électrique ("Song of Salomon"), sans pour autant enlever toute majesté aux compositions. Les mélodies prennent l'habitude de se dissoudre dans un brouhaha sonore littéralement envoûtant. Quelques chansons plus acoustiques ("One Blue Hill", absolument magnifique et poignant d'authenticité délicate ou "Gesture of a fear"), rares dans le genre, ajoutent une touche de douceur, presque féminine. Bien souvent les chansons posent un décor aérien avant de se perdre dans un prolongement évasif, qui se réitère et se multiplie à l'infini. Certaines dépassent largement les sept minutes. A l'instar de l'envoutant "Suggestion".
Cette démarche paresseuse et contemplative pourrait même s'accommoder de la tristesse qui en est le moteur. Les guitares sont écrasantes et le tempo plutôt lent, voire recouvrant. Et le caractère délié de "Henri" (et ses hoquets aussi bien exotiques que ténébreux) prend alors un tour fascinant sur plus de dix minutes de rêverie inquiétante. En cela c'est tout l'album qui se pare alors d'un aspect plus sombre et plus reposé.

12 mars 2013

The Verve : A storm in heaven



A storm in heaven de The Verve

Sortie : 1993
Produit par John Leckie
Label : Hut

Avec ses longues tirades de guitares, son rythme nonchalant, ses tempêtes impromptus, son chant perdu, le premier titre « Star Sail » balise pourtant bien le chemin. Le groupe se veut éminemment psychédélique, en signant des titres longuets, brumeux et chloroformés. Et le chant se veut léger. Des morceaux comme le single « Slide Away » seront d’une redoutable énergie, mais bien souvent ce seront plutôt des plages tranquilles, lentes, hyper cools (grâce notamment à une basse fantastique), très relâchées, comme « Butterfly », sorte de folk sous orage électrique. Avec son piano, ses saturations fantomatiques, sa légère guitare sèche et sa voix émasculée, le groupe proposera une vision du céleste, pervertie par les nombreuses drogues ingérées par chacun des membres. Cette musique apaisante se doit de recréer un état d’apesenteur. Richard dira : « ce n’est pas une longue odyssée jazz, ce n’est pas une question d’additionner les solos mais d’avoir un flot continu. »[i] La musique devient par moment illisible, la voix de Richard Ashcroft se faisant ouatée et les nappes de guitares flottantes. Les mélodies ne se retiennent pas, aucune structure couplet-refrain n’apparait et les textures fusionnent entre elles. « Beautiful Mind » ressemble même à de la dream-pop d’avant-garde, tandis que « Make it ‘til Monday » se rapproche du minimalisme shoegaze, c’est à peine si on entend les paroles. Pour Richard : « cet album, c’est du pur jam en studio, comme on a toujours fait. On a eu la liberté de faire ce qu’on voulait, et je pense que ça nous donne de meilleur résultats parce qu’on n’a pas peur. On n’a pas peur de faire des chansons trop longues, pas peur de tenter de nouveaux trucs. C’est une démarche moins artificielle que par rapport à bien d’autres musiques entendues ces dernières années. »[ii] Difficile d’accès, ses ventes sont désastreuses. La presse déjuge le groupe. C’est Suede qui raflera tous les lauriers. Sans regret : « On continue d’explorer notre métier. J’aime beaucoup les pop-songs mais quand tu achètes un single, tu es un peu stressé, tu espères que la face A soit un classique et que la face B soit aussi bonne. Tu veux avoir immédiatement de la magie. Alors qu’avec un album, tu as plus le temps de t’immerger, de sombrer dedans. Beaucoup de gens nous ont dit qu’on aurait pu rentrer dans les charts avec une succession de petits singles courts, mais à l’époque, cela aurait été mentir. »[iii]
Cet album devient alors, a posteriori, un témoignage d’une époque révolue (et méconnue du grand public, voire même des propres fans de The Verve).




[i] Richard Aschroft cité par Michael Leonard, sur Total Guitar, 1 mars 1998, [en ligne] http://www.thevervelive.com/1998/03/total-guitar-magazine-genius-of.html
[ii] Idem
[iii] Richard Aschroft cité par Andrew Smith, sur Melody Maker, 15 mai 1993, [en ligne] http://www.theverveonline.com/press/mm93.html

9 mars 2013

Shapeshifter : Plectrum EP

Plectrum EP de Shapeshifter

Date : 1994
Producteur : Shapeshifter
Label : Prospective

Il s’est passé quelque chose d’assez étonnant à Minneapolis durant les années 90. Alors que les Etats-Unis presque tout entier se ruaient dans le post-grunge en espérant qu’émergerait un nouveau Saint Cobain, une minuscule scène s’est développée au sein de la Cité Jumelle, comme on surnomme la ville et sa voisine Saint-Paul, qui préférait, elle, se positionner dans le shoegaze. L’expliquer est compliqué, mais on sait que c’est avant tout une histoire d’amitié indéfectible entre des étudiantes et étudiants de l’Université de Saint-Paul, qui s’est poursuivi jusque dans les formations de groupes, les échanges de membres, les influences et les concerts dans les petites salles des deux villes. Peut-être également parce que le label local, Prospective Records, mené par John Kass, préférait depuis des années valoriser des formations psychédéliques et garage plutôt que des similis Pavement ou Nirvana, comme c’était l’usage lorsqu’on souhaitait amasser de l’argent facile.

Par conséquence, de nombreuses formations, fans des importations anglaises de chez Creation, ont trouvé là un formidable terrain d’expression. Les radicaux Colfax Abbey, les virevoltants Hovercraft, les poppy Deep Shag, les psychédéliques Overblue, les éthérés February, un jour faudra-t-il se rappeler leur rôle dans le shoegaze des deux villes. Au sein de cette scène, Shapeshifter est peut-être le groupe le plus extrême. Ils se déclaraient amoureux de Ride et Pale Saints, tout comme des groupes de Amphetamine Reptile, label spécialisé dans le hardcore noise. Réputé pour ses concerts intenses, noirs et ardents, la formation (dont les membres se connaissent depuis le lycée) allait jusqu’au bout de ses idées. Entre les nappes de saturations de Paul Horn et le jeu fracassant à la batterie (libre et avant-gardiste) de Terry Haanen, la voix habitée et doucereuse du charismatique Jason Ducklinsky fait de « Plectrum » un superbe morceau hypnotisant, surtout lorsque le rythme survolté se suspend parfois et permet des passages transcendantaux de pure nuisance sonore.
Bien-sûr cette façon de faire ne pouvait être qu’un marchepied vers l’expérimental, chaque membre s’en allant soit vers le drone, soit vers l’electro, emportant avec eux la magie insouciante de cette scène shoegaze trop méconnue. 

7 mars 2013

Fiche artiste de Solar

Solar

Groupe chilien de la deuxième moitié des années 90, mené par Alejandro Gomez, ancien guitariste de Sien et Sicadélica.

20 février 2013

Lorelei : Everyone must touch the stove

Everyone must touch the stove de Lorelei

Date : 1995
Producteur : Geoff Turner
Label : Slumberland

Bien campés sur leur position, les membres de Lorelei se font les serviteurs d’une musique tendue, complexe, sans cesse sur le fil. Aspirant à une certaine forme de légèreté et de rêverie, notamment de par leur chant, un peu apprêtée, voire forcée, ils n’hésitent pourtant pas à sortir des sentiers battues, à grand renfort de basse et de coupures de rythmes. Les guitares saturées ne sont là que de temps à autre pour souligner des climax, mais l’univers du morceau, c’est avant tout la section rythmique qui l’assure (l’étonnant « Today’s shrug »). 
On est très loin de l’indolence habituelle du shoegaze, ici, on casse les habitudes, on s’intéresse aux décalages, aux arythmies, aux improvisations. Le génial « Quiet Staid Debt », sa basse en avant, sa batterie sortie de l’école de jazz, son petit piano, indique clairement l’influence math rock, tout en gardant un attrait pour la puissance du shoegaze, en témoigne l’irruption de tempête sonore. Lorelei passe pour des intellectuels. Ils souhaitent avant tout expérimenter, quitte à se perdre, comme sur « Throwaway », tout en bruit blanc et collage, ou le spécial « Day », avec son piano de saloon. Cet album préfigure ce que certains groupes américains allaient faire par la suite en terme d’essais et de curiosité. L’intro avec percussions sur « Inside the crimelab » qui est une répétition krautrock d’un même motif, avant qu’une voix trafiquée ne crache au milieu de grésillements, rappelle un groupe comme Tortoise. 
En dehors de ces moments un peu torturés, Lorelei s’offre aussi des escapades vers une féérie plein d’allant et de violence. La basse new wave, voire gothique, de « Newsprint » qu’on croirait sorti des années 80, est une ode à l’imagination. L’arrivée de multiples guitares comme savait le faire si bien Kitchens of Distinction est un pur régal. Les coupures et les passages dream-pop sont autant de chausse-trappe. Les chants n’hésitent pas à sur-jouer le côté langoureux, en soufflant et insistant sur les reprises de respiration. Quant au magnifique « Pillar », sa guitare sèche, puis ses inondations de saturations, ses chœurs doucereux, est un vrai régal shoegaze pour conclure l’album en toute beauté.
Au final, on reconnaîtra que Lorelei s’est refusé de se restreindre au cours de son premier essai. C’est certainement le groupe qui a le plus établi le lien entre le shoegaze anglais et le hardcore américain. Cela s’entend clairement sur « Stop what I you’re doing » ou le vrombissant « Thig for a leg », des vrais curiosités du genre.  

14 février 2013

Catherine : Sleepy EP

Sleepy EP de Catherine

Date : 1994
Producteur : Billy Corgan
Label : March Records

Billy Corgan a toujours été un fan de My Bloody Valentine (jetez un œil sur la superbe pochette de Pisces Iscariot pour vous en convaincre). Il était donc attendu que le génie de Chicago se soit un jour retrouvé à la production d’un groupe shoegaze. Celui-ci d’ailleurs est avant tout un groupe ami très proche. Il est de la même ville, il partage le même studio que les Smashing Pumpkins, il s’échange le même matériel et leur leader, le fantasque Kerry Brown, fut un temps marié avec D’Arcy.
Le résultat de cet échange de procédés est un EP assez surprenant pour les amateurs : il mélange le shoegaze et… le grunge ! La formule appliquée est assez simple, le couplet sera doucereux, magnifié par des pédales de distorsions et un chant suave, le refrain sera nerveux, agressif et lourd, dans la plus pure tradition du rock alternatif de l’époque nineties (« Sleep »). Evidemment, on sent l’influence des Smashing Pumpkins. Ce son inimitable sur « Idiot », cette batterie façon militaire qui fait penser aux coups de butoir de Jimmy Chamberlin sur « Cherub Rock » ou « Siva » (Kerry Brown est aussi batteur), cette basse souterraine, ces guitares qui fuzzent de manière saturée, ces coupures de rythme impromptues pour s’offrir des respirations romantiques, on ne s’y trompe pas, les deux formations ont du s’influencer l’une l’autre. 
Ce qui aboutit à un shoegaze qui regarde droit dans les yeux. Le son s’octroie une puissance décuplée (« Insect Tree »), s’offre un chant plus mordant et une énergie rageuse, mais autorise quelques douceurs également. Bien souvent les guitares sont magiques, le chant oscille entre langueur légère et sens de l’accroche, et le ton est lourd et chargé, ce qui donne lieu à des rêveries, de manière subtile, comme sur « It’s no lies », au tempo plus carré mais plus déterminé, cachant des références implicites à My Bloody Valentine ou Bailter Space.
Un premier EP à écouter pour se rappeler au bon souvenir du son d’une époque.

Morella's Forest : Super Deluxe

Super Deluxe de Morella’s Forest

Date : 1995
Production : Chris Colbert
Label : Tooth and Nail

Avec cette pochette réalisée par Thomas Wolfe (qui fera plus tard les dessins de MACHINA des Smashing Pumpkins) qui s’inspire à 100% du style de Paul McMenamin, le créateur de 4AD, notamment celui du dernier album de Pale Saints (les couleurs vives, les titres des chansons dédoublées, les lettres qui fusionnent etc.), on peut croire que cet album appartient à 4AD. D’ailleurs, à l’écoute, on est en plein dans le style shoegaze, avec des saturations sous toutes ces textures, couvrantes, pesantes, nappantes, lacérantes, crispantes, piquantes… Les petites bulles aquatiques et les maracas, sous couvert de guitares, font penser à Cocteau Twins (« Lush of spring »), la lenteur et la mélancolie font penser à Pale Saints (« Frizzle Kiss »), la basse et la frénésie punk évoquent plutôt The Breeders (« Superstar », presque riot grrrl). Bref, tout est passé en revue.
Et la confusion avec Pale Saints est encore plus grande lorsqu’on écoute la voix de Sydney Rentz, tant elle fait penser à Meriel Berham, d’autant qu’elles se ressemblent également physiquement (cheveux très courts en pour les deux). Elle sait se faire lascive par moment (« Hang Out »), à d’autres, angélique (« Wonder Boy »). Mais en tout cas toujours d’une douceur impressionnante et d’une suavité extrême, malgré les guitares.
Super Deluxe n’est pas qu’une leçon d’école. Car après une première partie avec des morceaux percutants, souvent sublimes (« Oceania »), l’album vire vers quelque chose de plus complexe, plus torturé, plus méchant (« Glowing Green »). La personnalité du groupe est encore plus visible, au cœur de ses distorsions davantage tordues, de ce rythme lent et de ces ambiances invocatoires. Le chant de Sydney se fait carrément évanescent et de fait, perdant en accessibilité, ce qu’il gagne en majesté. Surtout la formation de l’Ohio n’hésite pas à pervertir leurs adorables divagations poétiques par des grosses déferlantes de grésillements, tandis que le rythme à la batterie devient froid et impersonnel. La voix de Sydney robotisée (un peu comme faisait Swallow, autre groupe de 4AD), avant de virer sur un registre plus doux et plus clair, suscite la fascination, surtout lorsqu’arrivent ces drones (« Curl »). Une preuve que le groupe a de la ressource et de l’imagination.

Solar : Play

Play de Solar

Date : 1997
Production : Barry Sage
Label : BMG

S’il ne chantait pas en espagnol, on pourrait prendre ce groupe pour l’incarnation de Ride ou mieux encore, Revolver, de par ce romantisme sublimé par un mur du son léché et puissant. Un titre comme le magnifique « Vacío » et ses riffs ébouriffants, ses vocalises doublées, son refrain éclatant, peut largement oser la comparaison.
On sent clairement l’influence shoegaze-pop. Les guitares s’imposent mais sans écraser, ni bousiller les morceaux, les chants, souvent en chœurs ouatés, sont la plupart du temps plaisants, tandis que les mélodies s’enchainent avec une facilité déconcertante. Solar ne s’embarrasse pas, il vise l’évidence, les chansons fédératrices comme « Medícame » ou « Saber de me ». Il faut dire que la production est d’une limpidité incroyable, chaque élément de distinguant pour construire des moments de majesté. « Armonía », son piano en intro, son mid-tempo, ses voix angéliques, ou bien le bruyant et remarquable « Port de luz », avec ses saturations et ses distos à tous les étages.
Mais Solar c’est bien plus que cela encore. C’est aussi la capacité de s’offrir des passages purement contemplatifs, de majesté et de lyrisme. Exemple avec « Midistinguidalteración », ses tambourins, ses guitares cristallines, ses interventions féminines en arrière-plan, son clavier féérique. Bien souvent les guitares sont magiques, même si elles sont parfois lourdes, le chant oscille entre langueur légère et sens de l’accroche, et le ton se fait plus grave, ce qui donne lieu à des propos indolents, de manière subtile, comme sur « Lo que eres », au tempo plus lent mais plus romantique, introduisant des passages d’une puissance découplée.