28 mars 2009

Ride : Nowhere


Nowhere de Ride

Mythique !

Sortie : 1990
Produit par Alan Moulder
Label : Creation


On pourrait chercher en vain la perfection, en se disant qu’elle n’est pas de ce monde et qu’il s’agit d’un concept abstrait qui vise uniquement à mettre un mot sur une notion infinie.
Pourtant, il ne faut pas se chacher, l’album parfait existe bel et bien, et Nowhere répond tout à fait aux exigences.
Ce n’est pas que l’on atteint ici des sommets, c’est juste qu’il n’y a aucune faute de goût. On est ébahi par ce mélange de puissance et de finesse, qui tombe toujours juste sans jamais s’essouffler. Dans ce qu’il a à faire, ce premier opus de Ride s’y prend exactement comme il le faut. Pourtant on n’attendait rien d’eux à la base, mais ils ont pourtant fait ce qu’on voulait, comme si en même temps que le contentement, on se découvrait soi-même, on voyait un côté de nous qui se révélait. Comme si, de manière surprenante et intuitive, ce mur du son extraordinaire était ce qu’on avait désiré et que Ride avait alors comblé tout nos désirs, sans qu’on ait besoin de réclamer plus.

On n’a rarement fait entrée en matière plus fracassante que « Seagull », régulièrement joué en concert mais en fin de set-list car beaucoup trop bruyant et manquant de fracasser les oreilles. Ici, le point d’orgue est donc placé au début. Démarrant en trombe, alors que l’on pourrait penser que les musiciens se lâchent complètement, la chanson n’est en fait qu’une montée progressive dans l’intensité et la vitesse. Le jeu de ces très jeunes garçons est fort, secouant, il n’y a aucun espace sonore de vide, tout est occupé : les distorsions monstrueuses, les coups surpuissant de tambours, de caisses et de cymbales. Une vraie orgie adolescente.

Mark Gardener et Andy Bell sont des gamins qui ne pensent pas aux conséquences. Pour eux, il n’est pas nécessaire de flirter avec la house music pour paraître cool, au contraire, ils se définissent comme timides. Alors, de peur d’être pris pour des imposteurs du rock, ils vont édifier le plus impressionnant mur de guitare jamais construit. Sans se rendre compte à quel point cette surcharge allait donner à leur musique une dimension supplémentaire. Pour dire quoi finalement ? Pas grand-chose de plus que des bêtises confites et béates, des langueurs paresseuses et romantiques. Mais, comme en témoigne, par exemple, le divin « In a different place », aux mélodies qui s’enchevêtrent, tressent des nattes et s’envolent au loin comme des rubans, la moindre petite trace de douceur est décuplée au cent mille, galvanisée par une puissance sans égale.

Souvent dans les albums, on réserve pour la fin, une chanson plus lyrique, plus chatoyante pour en faire le clou du spectacle. Ici, sur « Nowhere », c’était comme si toutes les chansons étaient des chansons de fin d’albums. Les anglais d’Oxford en font plus, toujours plus, dans l’exagération : ils transformeront alors leur vocalise en longs récitals de « aaaah aaaah », dignes d’enfants de chœur, d’un moelleux divin et d’une légèreté comme on n’avait jamais osé en terreau rock. Les guitares seront toujours dans le rouge, ne s’arrêteront jamais et s’additionneront, électriques, distordues ou acoustiques, en multipliant les effets de reverb et d’écho. L’ensemble aboutit à des véritables moments intenses, qui fait papillonner le ventre et gave le corps de sensations délicieuses.
Un titre comme « Polar Bear », martial et magique, dont on remarquera le rôle primordial du batteur Loz Colbert (impérial sur cet album), appliqué et violent, se drape d’atouts merveilleux en tirant au maximum le côté solennel d’une telle chanson à la mélodie pourtant simple. La beauté atteinte défit l’imagination : on n’avait rien prévu et pourtant tout en nous est comblé. Un mid-tempo pourtant, mais un mid-tempo qui ballait tout sur son passage, à mettre en parallèle avec la pochette de l’album, pochette magnifique, cette vague tranquille qui fait preuve d’une puissance et d’une fluidité fascinante.

Et alors que l’on pensait avoir atteint le paroxysme de l’album, voilà que déboule « Dreams Burn Down », avec ses arpèges cristallins et son nuage brouillé et orageux en arrière-fond. On est bien forcé de constater qu’on touche au céleste. Dans le sens où la grâce atteinte (ah ! ces mélodies vocales ! A filer des frissons !) n’a plus rien à voir avec quelque chose d’ordinaire. Toute matérialité est supprimée, purement et simplement, à l’image de ces déluges de guitares, qui laveraient les prétentions pour ne laisser qu’une beauté romantique. Et le rythme lent, posé, renforce cette impression que les choses sont inéluctables. La musique de Ride nous dépasse, sans doute dépasse-t-elle ses auteurs eux-mêmes, comme si les guitares étaient trop grosses pour ces jeunes gamins.

« Decay », c’est une claque : le rythme saccadé et la basse extraordinaire de Steve Queralt. Donne une irrésistible envie de secouer la tête. « We have short time to spend » : et ils ont tellement raison. Que le temps passe vite ! Il faut se dépêcher, vivre les choses à fond, ne rien regretter, saisir les opportunités au vol, profiter tant qu’on est jeunes. C’est un peu en substance ce que nous dit Ride. Aussi lorsque le rythme se coupe brusquement dans un marasme innommable de guitares saturées et que le chant reste toujours aussi soufflé et vaporeux, on ne peut s’empêcher de se laisser emporter dans cette folie, cette démesure, ces caprices. Pour s’envoler et s’échapper. Nowhere est un chef-d’œuvre (qu’on se le dise) mais avant tout une œuvre psychédélique.

A l’opposé du précédent, « Paralysed » s’apparente à une douce chanson, soutenue par une guitare sèche, faisant la part belle à un chant divin, notamment lors du refrain, très magistral, mais qui finira lapidé par une déferlante saturée. Avant de se conclure sur une déliquescence magnifique, la chanson se verra débordée par des brouhahas et un piano perdu, pauvre instrument qui luttera contre une basse et une batterie ahurissant, jusqu’à céder d’épuisement. La musique est plus forte. Pour les musiciens de Ride, il n’y a que ce biais d’expression, le reste n’est que comédie et jeu scénique. Très peu pour eux.

Mark Gardener et Andy Bell, ces deux jeunots qui se disputaient l’écriture des chansons, préféraient se lover dans une tendresse sans pareille, dérivant avec un son noisy des plus brouillons. Mais quand bien même le son vire à la sursaturation, il n’en demeure pas moins un goût certain pour la grâce. C’est avec ces lambeaux de beauté qu’on termine l’album. Un album unique, incontournable, à la fois évident et à la fois très intime, qui s’écoute d’un bloc et qui ne possède aucun relâchement. Les violons du magnifique « Vapour Trail » achèvent alors l’écoute dans un prolongement infinie de rêverie et de poésie mélancolique.

18 mars 2009

The Autumns : The Angel Pool


The Angel Pool de The Autumns

Coup de coeur !

Sortie : 1997
Produit par Andrew D.Pickett
Label : Ichiban/Risk

Volontiers à fleur de peau, le style des américains peut paraître boursouflé mais à chaque fois que le chant monte dans les aigus, force le ton, se balance sur la corde raide, impossible ne pas se laisser avoir à chaque fois : on est comme envoûté. Les longues et tortueuses parties de guitares enchantent et évitent soigneusement de se lover dans la boue des riffs rock traditionnels (« The Garden Ends »). En matière de choix, les musiciens de The Autumns se font des esthètes et préfèrent largement traîner du côté de la féerie. Les lignes construites sont dans ce cas légères, futiles mais gracieuses, quelque peu enflammées, mais en aucun cas ne desservent le pathos forcé du chant, pourtant si magnifique et poignant. Le groupe prend son temps, suspend ses effets, insiste sur le côté féérie, et se jette à corps perdu dans des slows qui finissent une tempête (le faussement calme « Embracing Winter »). Lorsque les déboulées de saturation écrasent ce chant crié qui s’arrache des poumons en une émotion désespérée, la retenue est nettement dépassée, pour flirter avec un envoutement racé, comme avec « Eskimo Swin ».
Cela pourrait paraître ridicule, cependant on se prend à croire qu’il s’agit là d’une ultime déclaration d’amour, que toutes les émotions sont jetées là dans la bataille, au prix d’un risque énorme, alors qu’autour le monde se pourrit de l’intérieur. Dernier refuge de l’authenticité, ce premier album sublime et inouïe de beauté boursouflée, en prend paradoxalement tous les contours contraires : climat romantique et rêveur à souhait, guitares détachées proches de la dream-pop, harmonies sublimes destinées à filer la chair de poule, chant exagérément plaintif, langueur étirée sur de très longues minutes (époustouflant « Juniper Hill »), souvent se terminant en panaches saturées, entrecoupés de volutes (« The Angel Pool », entrecoupé en plein milieu par un silence assourdissant, puis par des nuages, d’où revient progressivement la douce mélodie initiale). Et lorsque le ton se fait plus minimaliste, que la voix se fait plus aérienne, les guitares plus laconiques, c’est là qu’on atteint le summum du déchirement. On ressent les émotions au plus près du cœur, soulevé par les montées aigues et les arabesques vocales, comme des guitares d’ailleurs, comme avec « Glass in lullabies », beau à pleurer. Pourtant c’est ici que l’on va reconnaître une vraie volonté de s’échapper de la rigueur du quotidien et de ses chagrins d’amour inévitables.

Voilà pourquoi ce disque marque pour longtemps.