17 mai 2013

Fiche artiste de Catherine Wheel


Catherine Wheel
Pour ce groupe de Norwich, bien éloigné de la gargouillante Thames Valley, tout a pourtant démarré très vite, et ils sont les premiers à avoir signé sur une major. Ce qui ne les a pas empêchés de proposer un shoegaze vitaminé et classieux, en dépit des réserves légitimes qu’on pouvait attendre de la part d’une telle structure. Comme le résume Rob Dickinson, le chanteur de Catherine Wheel : « On n’a pas vendu des millions d’albums et on n’est pas devenu des rock stars, mais je ne suis pas sûr que c’était le plan. (…) Le principal a été préservé, qui est tout de même la musique. On n’a jamais été pressé par notre label à faire certains types de disques ou répéter une formule gagnante. C’est presque bizarre, au vu de tout le fric brassé par le label, qu’on ait pu être autorisé à faire ce qu’on voulait, ce qui n’arrive pas souvent. On a été un des derniers groupes à agir de la sorte, avant que la porte se referme et qu’ils adoptent une posture différente. »[i]
Comment un tel groupe shoegaze a pu intéresser à l’époque une major ? Certainement par l’entremise d’un réseau indépendant, qui n’existe plus aujourd’hui à Norwich, à savoir tout d’abord Barry Newman, le fameux propriétaire du Wilde Club, et ensuite par John Peel, célèbre animateur de la BBC. En effet, le 24 septembre 1990, Catherine Wheel joue donc son premier concert au Wilde Club, en compagnie de The Bardot, autre groupe du sérail. Leur prestation enlevée et hardie, leur permet de taper dans l’œil de Barry Newman. A ce moment le groupe comprend Rob Dickinson, Brian Futter, Neil Sims et Dave Hawes, tous enchainant les petits boulots pour survivre. Il décide de les prendre sous son aile pour les promouvoir et publie un premier single en 1991. Cette première compilation obtient de bonnes critiques, dans toutes les revues spécialisées et les fanzines, sans pour autant réussir à dépasser le cercle restreint de la scène de Norwich. Ils étaient loin de s’imaginer ce qui allait arriver par la suite. Une nuit, alors que Neil faisait des heures sup’ à son boulot (il travaillait à l’époque dans une société de raffinerie pétrolière) et s’ennuyait devant son écran d’ordi, il tombe des nues à la radio. Il ne pouvait pas y croire : John Peel était en train de diffuser une de leur chanson ! Et les choses s’accélèrent avec Fontana qui leur tend les bras.
Pour enregistrer leur premier album, les membres du groupe étant de grands fans de Talk Talk, décident de faire appel à leur producteur, Tim Friese-Greene. En studio, il réussit à capter la puissance du groupe, à clarifier le son des guitares, à renforcer la section rythmique, jusqu’à rendre épiques certains morceaux, comme « Black Metallic », étendu sur sept minutes. Il fut à ce point responsable du son de Catherine Wheel que d’aucuns considèrent qu’il était le cinquième membre du groupe, comme il était le cinquième membre de Talk Talk. Rob Dickinson décrit comment ils ont obtenu ce son intense, presque gonflé : « On a enregistré nos premiers single dans la chambre de Brian sur un 8-pistes, donc on n’avait pas trop de couches de guitares jusqu’à ce qu’on travaille avec Tim. Il a tenu à utiliser des pédales d’effets et des amplificateurs de sons pour expérimenter. Ça nous a donné ce son tout en texture sur notre premier album car sur certaines chansons, il y avait jusqu’à quatre guitares rythmiques empilées les unes aux autres. A partir du moment où vous mettiez plus d’une guitare, le simple fait de ne pas pouvoir les jouer de la même manière à chaque fois, donnait un effet chorale, une sorte de son éthéré. »[ii]
Hélas, la scène de Norwich souffre de son isolement. Si Catherine Wheel souhaite davantage se faire connaître après cet album, il faut se produire à Londres. Ils essayent de percer là-bas, multiplient les concerts avec Slowdive, Ride et compagnie. Mais ils tentent de garder leur distance, ont du mal à s’inscrire dans ce cercle fermé d’amis et ne veulent pas s’éterniser dans un style shoegaze qu’ils jugent nombriliste. Le fait qu’ils soient un des rares à être sur une major n’a pas non plus facilité leur intégration. Rob Dickinson regrette que la façon dont le shoegaze a été traité : « NME a été grandement responsable de ça. Ils ont promu une scène exprès pour mieux la critiquer quelques mois plus tard. Mais au final [ces scènes qui apparaissent] ça fait avancer les choses, ça apporte un vent de fraîcheur. Donc le shoegaze a pu finalement avoir ses dix minutes de gloire, en pleine lumière. »[iii] Du coup, pour les albums suivants, même si peut conseiller le très bon Chrome en 1993, le raffinement servi dans un fracas fabuleux est abandonné au profit d’un style plus rentre dedans, voire de plus en plus ouvertement tourné vers les Etats-Unis, dans une volonté de se détacher d’une scène encombrante. Rob tente pourtant de se justifier : « Avec le recul, s’impliquer [dans la scène shoegaze] était une chose juste à faire lorsqu’on a démarré, d’autant que venant d’un trou paumé d’Angleterre, ça ne pouvait pas faire de mal d’appartenir à quelque chose. Ça signifiait qu’on venait de passer le premier niveau sur l’échelle de la considération. Puis c’est devenu [un style] ringard et ennuyeux au bout de quelques mois, et complètement hors de propos encore quelques mois plus tard. On n’a pas cherché consciemment à nous extirper de ce bourbier, c’est juste que le groupe a changé. »[iv] Sauf qu’à force de s’éloigner de leur style d’origine, c’est la Brit-Pop qui rafle la mise, condamnant le groupe, malgré un succès d’estime outre-Atlantique, de se séparer au début des années 2000. Dave Hawes regrette : « Ce fut une spirale infernale. Des ventes décevantes, des problèmes au sein du label, les égos… une concoction de choses et d’autres. C’est une honte la façon dont ça s’est fini. »[v]




[i] Interview de Rob Dickinson par Nancy J Price, sur She knows, 22 mars 2010, [en ligne] http://www.sheknows.com/entertainment/articles/7537/questions-with-rob-dickinson-formerly-of-catherine-wheel
[ii] Rob Dickinson cité par HP Newquist, sur Guitar International, décembre 1993, [en ligne] http://guitarinternational.com/2010/08/21/catherine-wheel-spinning-textures-in-chrome/
[iii] Interview de Rob Dickinson par Carlos Ramirez, sur Ultimate Guitar, 8 juillet 2008, [en ligne] https://www.ultimate-guitar.com/interviews/interviews/rob_dickinson_the_songs_are_snapshots_of_different_times_in_my_life.html
[iv] Interview de Rob Dickinson par Dave Robbins, sur Radcyberzine, 1995, [en ligne] http://www.radcyberzine.com/text/interviews/CathWeel.int.g.html
[v] Interview de Dave Hawes sur When the sun hits, 25 octobre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/10/interview-dave-hawes-of-catherine-wheel.html

Catherine Wheel : Ferment


Ferment de Catherine Wheel

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Tim Friese-Greene
Label : Fontana

Impeccable, soigné, élégant, Catherine Wheel fera de son premier album un véritable coup de maître tant il n'y a rien à redire sur ce sommet.
Le goût très prononcé pour les mélodies fines et racées conjugué à des guitares incisives, permet d'inscrire Ferment dans le Top Ten des albums shoegaze anglais. En tout cas c'est un excellent et très accessible moyen de démarrer dans cet univers.
Voix exagérément raffinée, maestria sonore, guitares déchaînées, mélodies suaves, aucune imperfection ne vient perturber ces chansons de grandes classes. Le single "Black Metallic", les somptueux "Texture" ou "Indigo Is Blue" sont des exemples éminents du suprême rang que pouvait atteindre ce groupe repéré par Tim Friese-Greene, le membre de Talk-Talk qui se mua producteur pour l'occasion. C'est tourbillonnant, à force de lancer les guitares dans un vortex dévastateur, on ne sait plus où donner de la tête. Ici, les effets de pédales ne servent pas qu'à créer un brouillage opaque de saturation, mais à sublimer les parties de guitares, très travaillées et ornementées, ce qui donne lieu à de superbes passages instrumentaux. Entre le tubuesque "I want to touch you", et le fracassant « Bill and Ben », c’est tout un univers sombre, parfois violent, que dépeint le groupe, tout en restant raffiné et glamour.

Rob Dickinson a une façon de chanter toute particulière. Il ne fait qu’aspirer, ce qui donne du volume et de l’aération, tout en lui octroyant un petit côté gentleman et policé. 
Catherine Wheel, c'est la distinction, le raffinement servi dans un fracas de guitares fabuleux, un style impeccable qui subjugue les compositions vers des brûlots enrobés de dorures et d'éclats. C'est lumineux, ébouriffant et énergique.
Une œuvre remarquable, petit bijou pop dans un écrin de verre.

16 mai 2013

Catherine Wheel : Chrome


Chrome de Catherine Wheel

Sortie : 1993
Produit par Gil Norton
Label : Fontana

Produit par Gil Norton (Pixies), le deuxième essais des musiciens anglais de Catherine Wheel, un des plus fiers représentants de la vague shoegazing, sonne nettement plus dur et emporté que son prédécesseur.

Les guitares déchaînées fusent et impriment un ton puissant et sans limite ("Kill Rythme" ou le colossal "Crank") tandis que la batterie cogne avec vigueur et que les soli lourds et venimeux essayent de se sortir de ce mur du son ébouriffant. Le chant de Rob Dickinson, moins aérien, se fait hurlant quelques fois, souvent énergique ("Chrome"). Peu de temps de souffler au cours de cet opus dense et consistant.

Le dynamisme et la puissance sonore n'empêchent cependant pas une grande maîtrise de l'écriture, toujours aussi élégante et sophistiquée ("Broken Head" ou l'excellent "Chrome"). Le son pesant et saturé n'interdit en aucun cas des dérapages planants du plus bel effet ("I Confess" et sa coupure de rythme incroyable) où chaque bulle d'oxygène est vécu comme un moyen de s'évader de cette chape de plomb que constitue ce marasme de guitares. Les voix s'envolent souvent et atteignent alors ce degré de volubilité qui fait tant le charme du groupe. Mais bien que l'ambiance soit à l'élégance esthétique ("The Nude"), on revient vite vers une fureur sans égale, comme si elle était associée inévitablement à l'expression de la beauté (on retrouve cette contradiction sur "Pain" par exemple).

Magnifique de densité tragique comme artistique, Chrome est un album écrasant mais qui met alors plus en valeur la cotation des ardeurs stylistiques qu'affectionne le groupe. Les titres, tous réussis, sont de vrais morceaux de finesse, cachés sous un déferlement cathartique. Sous des dehors agressifs et confondant de rugosité, Catherine Wheel manie la poésie avec perfection.

La preuve sur le long et aérien "Fripp", seule chanson reposée où le groupe se laisse aller à un détour atmosphérique, rêveur, féerique et dont la tournure laisse pantois. Une grâce absolue qui finalement se veut être son éternelle ambition.

12 mai 2013

Fiche artiste de Pale Saints


Pale Saints

Figure de proue du label londonien 4AD, en compagnie de Lush, Pale Saints est à la fois un des plus éminent représentant de la pop anglaise, et à la fois un des plus décalé. Notamment parce qu'il était mené par Ian Masters, ce doux-dingue, qui a finit traumatisé par la lumière des projecteurs et s'est retiré du show business, pour laisser la place à Meriel Barham.




11 mai 2013

Pale Saints : The Comfort of Madness


The Comfort of Madness de Pale Saints

Sortie : 1990
Produit par Gil Norton
Label : 4AD

A entendre ces détours déchaînés et frapadingues, cette voix distante, éthérée et neurasthénique, ce shoegazing à la fois délicat et cramé, on reste éberlué.

Une sorte de lenteur contagieuse finit toujours par rattraper le déferlement de guitares soniques pour le plonger dans une froideur et un détachement saisissant. Les guitares sont utilisées comme des coups de ciseaux, la basse un câble d'aluminium et la batterie un maillet, mais les martèlements froissent à peine une feuille de papier. Les notes miraculeuses et les arrangements magnifiques sortent d'un fouillis sonore comme par enchantement ("Way the world is" ou bien "Feel from the sun"). Une torpeur s'installe au beau milieu d'explosions, de vacarmes et de déflagrations en tout genre. C'est vraiment étrange.

Ian Masters est un doux dingue, envahi de névroses et de fantômes intérieurs. Il chante comme un ahuri par-dessus une démolition en règle. A partir de pulsions maladroites et maladives, il arrive à faire de sa musique une révélation. A partir d'un acharnement sonore, il la guide vers une lumière brumeuse mais somptueuse dont on ne sait si elle est bonne à contempler. Sa voix est détachée, les guitares se crispent sans raison et la batterie cogne pour rien, si bien qu'on se demande pourquoi faire tant de bruit pour dire des choses si douces.

Ça ressemble à un tir de pistolet dans un oreiller ("You tear the world in two"), une sorte de feux d'artifices de plumes ("Insubstancial" et sa basse géniale). On perd pied. Derrière les mélodies évidentes se cachent des signes de folie, à chaque détour on risque d'être surpris par quelques bruits dadaïstes ou une saturation électrique. Chaque morceau semble être accompagné jusqu'au suivant par une continuité expérimentale, composée de petits bruits blancs ou de trafiquotage de studio. Mais ces difficultés (ce premier opus n'est pas un modèle d'accessibilité mais reste une des pièces maîtresses du shoegaze à réhabiliter) rendent l'ensemble attachant, intriguant et sans conteste très beau. A l'instar de "Sight of you" ou du délicat et fragile "Sea of wound". D'après le titre de l'album, ne serions-nous pas en effet dans un monde où la démence est la loi, la raison passible de sentence ? L'univers même où habite Ian Masters ?

Sur la corde raide, on marche en équilibriste au beau milieu d'une construction qui se démolit à chaque chanson, un labyrinthe dont le plan se modifie à chaque fois, un palais des glaces dans l'obscurité. La magnificence, la grâce n'ont jamais paru aussi fragiles. Les définitions se brouillent. Le chant de Ian Matters semble si doux qu'il en devient irréel. Il nous renvoit non pas à ce qu'on recherche dans sa musique -il l'ignore lui-même-, mais sur cette propre recherche. Toutes les interrogations suscitées, la foule d'émotions ressenties devant cette œuvre hors-norme apparaissent comme des trésors. Des trésors de beauté et de finesse.

Car la musique de Pale Saints, aussi étrange qu'elle puisse paraître, est belle et mélodieuse à en pleurer.

Pale Saints : In Ribbons


In Ribbons de Pale Saints

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Hugh Jones
Label : 4AD

Réussissant à enfin concilier assurance et désir de quelques coups de folie, ce deuxième album est parfaitement maîtrisé, un sommet du mouvement shoegaze, pourtant décalé et déstabilisant. Intégrant les larsens et autres réverbérations de manière parsemée, multipliant les coupures de rythme destinées à perdre l'auditeur dans ce dédale musical, saturant, par un mur du son très travaillé, l'espace nécessaire à la distinction, In Ribbons est là pour couper tout contact avec la réflexion, habituel parasite à l'évasion.
Les petits hoquet de Ian Masters sur "Throwing Back the Apple" ou bien les caisses de batterie martelées sur "Ordeal", tandis que les guitares saturées s'amusent à tisser une toile dans laquelle on ne peut que s'engluer, nous rappelle à quel point on peut se perdre facilement dans la contemplation de ces morceaux admirablement construits, d'une douceur incomparable, proche du rêve à l'état pur, tout en gardant un décalage suffisant pour être novateur.
Bien souvent on atteint des états de grâce, de magie cristalline, comme sur "Thread of light", "Featherframe" ou "Shell" et ses violons larmoyant. Le tourbillon de plaisir qui nous saisit à l'écoute de ces morceaux, chauds, puissant et savoureux comme du caramel, piquant parfois ("Babymaker"), ne contient aucune baisse de régime, mais accélère son pouvoir centrifuge d'attraction, au fur et à mesure de l'écoulement de l'album. Il ne subsiste que cette impression de vertige, renforcée par des brouillages, des voix lointaines et suaves, et des guitares tremblotantes comme des chants de baleine dans la brume (le déstabilisant "Hair Shoes"). Ici, la simplicité rejoint la pureté. Pas de surenchère, pas de maniérisme, juste des boucles mélodiques qui s'étirent à l'infini.
Le chant de Ian Masters (auquel peut s'ajouter celui de Meriel Barham, transfuge de Lush) rêveur, aspiré, éthéré et d'une beauté sans équivalent, sème le doute: dénué de tout affect, hormis pour sa simple expression, il semble si irréel que l'on voyage dans des royaumes inconnus et merveilleux. Cela ressemble à une voix d'ange (‘’Hunted’’) ou plutôt à celle d'un fantôme (‘’Shell’’) : c'est-à-dire décharné et réduit à sa propre essence. Tout réside alors dans son association avec les guitares saturées, quasi-transcendantales, ainsi qu’avec une batterie ébouriffante.
C'est que cette musique possède quelque chose en plus, que les autres non pas, une envie inexpliquée de vouloir toujours partir sur d'autres sentiers, de ne jamais se cantonner à une seule mélodie par chanson, ou un seul climat, incluant des passages d'une douceur extrême à des moments presque brûlants, à grand coup de guitares noisy et électriques. Et les atmosphères plus calmes atteignent souvent des sommets de captation, toujours tendus, sur le fil, toujours déviant. Les slides plaintifs de "Neverending night" serrent la gorge, et malgré une basse cajoleuse, on ne cessera jamais d'avoir la sensation d'être trop petit pour contenir toutes les émotions qui vont nous envahir à l'écoute de ce morceau déchirant et d'une beauté langoureuse à couper le souffle. Et lorsqu'on achève l'écoute sur ces légères notes flottantes, on se croirait face à un mirage sonore. On se dit que l'on ne reviendra jamais d'un tel moment où l'on côtoie une telle féerie, et pourtant à chaque fois une couche en plus d'instruments vient se superposer à l'ensemble ("A thousand stars burst open") jusqu'à créer une connexion entre cette musique et notre corps.

8 mai 2013

Kitchens of Distinction : The Death of Cool


The Death of Cool de Kitchens of Distinction

Sortie : 1992
Produit par Hugh Jones
Label : One Little Indian

A l'occasion de son troisième album, le groupe britannique décide d'assombrir son ton, et de se lancer dans une démonstration plus magistrale, plus étirée et plus planante parfois.
Chaque passage éclatant est construit de façon magistrale, par une superposition instrumentale et une surenchère frénétique, jusqu'à un épanouissement torturé. Cette musique irradie comme une lumière jaillissante mais troublée. Le trio anglais tire de leurs instruments et surtout d'une production sublime (due au bidouilleur qu'est Hugh Jones) toutes les possibilités pour atteindre une grâce sans pareil (« What happens now ? » ou « When in heaven »). On reste conquis devant ces démonstrations splendides, ces confettis sonores, cette corne d'abondance, ces effets stroboscopiques atteignant des degrés d'intensité inégalés (« 4 Men » et ses ‘’aaah yiiii huuuuuh’’).
La musique de Kitchens Of Distinction est affligée, exubérante, luxueuse et nouvelle. Elle est l'occasion à chaque fois d'un voyage imaginaire et fantasmagorique, vers un monde présidé par la sensibilité exacerbée de ce groupe atypique, ainsi que par ses doutes, voire de la colère. The Death Of Cool est leur troisième album mais sans doute leur plus varié et étoffé. Les morceaux prennent le temps de monter en intensité, certains sont aériens et trainants, soulignés par des réverbérations perdues (le superbe « On tooting broadway station »). D’autres sont plus obscurs encore, souterrains et étranges (« Gone Word Gone » et son intro à la basse). Mais dès que le groupe laisse sa puissance inonder au cours d'une tempête saturée, c'est un véritable mur du son qui s'impose, brillant, ébouriffant et tourbillonnant. Les nappes d'effets, les déferlantes de guitares, cette magie ambiante et marque de fabrique du groupe, élèvent les compositions pour leur confier une valeur proche du sublime (« Blue Pedal » qui se termine en apothéose). Comme tout groupe de shoegazing de l'époque, ce ton saturé n'est qu'un miroir déformant à la mélancolie et la rêverie.
On a bien du mal à revenir après la fin de l'écoute. Kitchens of Distinction assume sa mélancolie (le faux-tranquille « Mad as snow ») jusqu'à se laisser perdre lui-même et s’envoler très haut.

4 mai 2013

The Verve : The Verve EP



The Verve EP de The Verve

Sortie : 1992
Produit par Barry Climson
Label : Hut


Seul témoignage des débuts shoegaze du groupe de Richard Ashcroft, où on peut constater que sa voix, encore très aérienne, dégage une haleine sans doute pas très licite, on retrouve ce premier maxi où figurent cinq titres, chacune déclinaison de contemplations romantiques.
C'est lent, très long, vaporeux et rêveur. Empreint d'un psychédélisme total, chaque morceau étant une ode aux drogues, ce maxi met en exergue l'hébétude et rapproche les termes "cool" et "paresse". Le temps s'étire à l'infini pour parvenir à un nœud spatio-temporel où on se fige dans un hébétement total, post-mortem et aérien. Petit à petit l'intensité augmente à mesure que les instruments sont attirés vers ce siphon sonore.
A l'écoute de "She's A Superstar", un des premiers single du groupe, son riff magique, sa langueur, ses guitares en plaintes de baleines, sa petite guitare sèche féerique, son chant adoucie, sans doute un des plus grands morceaux shoegaze jamais écrit, mais mini-hit raté par un public qui attend qu'on lui offre tout sur un plateau, on se dit qu'on atteint là un des sommets du genre.