4 mai 2014

Fiche artiste de Secret Shine


Secret Shine


On aura toujours un peu de mal à parler de Secret Shine, ce groupe si loin de la notoriété et rattaché à jamais au label Sarah Records, une maison de disque d’un autre genre, sans moyens mais animée par la seule passion d’une musique douce et enfantine. Ils sont apparus et ont disparu avec eux, un triste soir de 1995, après un dernier concert sur une péniche à Bristol, lorsque les dirigeants de Sarah ont décidé de mettre la clé sous la porte, une fois qu’ils avaient estimé avoir fait le tour de la question. Secret Shine ne s’en remettra pas et aura bien du mal à vivoter après coup. Scott Purnell avouera : « nous sommes le groupe le plus paresseux du monde »[i].
Pas grand monde ne fera réellement attention à leur passage, quelques singles, et un seul album. « Les fans des années 90 étaient plutôt attachés à la scène de Sarah Records. C’était un peu comme avoir une étiquette. Dans un certain sens, ça nous a donné une petite notoriété et un public déjà tout fait, mais aucun d’entre eux ne nous aimait. 9 fans sur 10 de Sarah préfèrent The Field Mice. »[ii] Eux voulaient bien conserver la tendresse des groupes de Sarah Records (comme Brighter, The Sweetest Aches, Another Sunny Day), notamment grâce à la voix de leur chanteuse Kathryn Smith, mais en l’écrasant par un mur du son effarant. Scott Purnell raconte : « J’étais un grand fan de JAMC et je voulais faire partie de la scène émergente shoegazing. On voulait sonner comme personne, mais après nos premiers enregistrements, on s’est dit qu’on allait garder nos mélodies pop et ajouter des distorsions par-dessus. On n’était même pas sûr que Matt et Clare, les patrons de Sarah, allaient accepter, mais ils ont sauté à pied joint dedans. »[iii] 
 "Loveblind" sera choisi comme single, le fameux "Sarah 71", puis après cinq jours et cinq nuits enfermés dans le studio de Sarah Records, sortira leur album Untouched en 1993 qui allait imposer définitivement leur style.  
C’est avec cet album emphatique que Secret Shine est véritablement rattaché au style shoegaze. Scott reconnaîtra : « Si je relis les articles, l’étiquette shoegaze est apparue avec le single Loveblind et notre premier album. Avant, on était plutôt taxé de twee. Sur Untouched, on a commencé à laisser respirer les chansons et on a usé de la structure classique tranquille / bruyant. Les critiques musicaux peuvent décrire n’importe quel son comme n’importe quel style, de façon délibérée, mais il faut reconnaître qu’on adorait les guitares saturées et les tendres vocalises féminines / masculines, ce qui est la signature du shoegaze. Les étiquettes peuvent être utiles comme destructrices, dont on s’en foutait un peu. Nos influences personnelles étaient très diverses, mais d’un point de vu collectif, on voulait tous le même son et on savait comment l’obtenir. Je serais un menteur si je disais qu’on n’aimait pas les autres groupes shoegaze et qu’on n’a jamais été influencé par eux. »[iv] Mais le groupe de Bristol, trop éloigné de la Thames Valley, n’a jamais pu s’imposer. C’est comme s’ils n’avaient jamais été à leur place, trop noisy pour être estampillé Sarah Records, trop précieux pour être des vrais shoegazers. Selon Scott : « Je pense qu’on appartenait à la scène shoegaze originelle mais on n’était pas les leaders. Ride, MBV, Slowdive, Chapterhouse (et tellement d’autres) étaient déjà établis lorsqu’on s’est joint à eux. Je pense aussi qu’on a toujours voulu être plus noisy-pop que vraiment avant-gardiste. On s’est toujours senti un peu à part. »[v]
Secret Shine pratiquait une musique très riche, contrairement aux canons de l'époque et aux poseurs Brit-Pop qui commençaient à apparaître. Pas évident de passer pour des intellectuels, noyant un manque de percussion dans un discours, semble-t-il abscons. C'est surtout en live que les difficultés du groupe sont les plus criantes. Là où en général, la tournée est le point d'orgue pour bon nombre de groupe, monter sur scène se révèle une vraie sinécure pour le groupe. Sur six ans, s'étalèrent seulement une trentaine de concerts, ce qui est bien peu pour se faire un nom, la faute à de la paresse, une phobie des gens, un goût certain pour l'alcool avant les shows et un manque de matériel. Malgré un grand concert devant plus d'un millier de personnes, en première partie des grands Jesus and Mary Chain, les tournées ressemblent à des chemins de croix. Une des raisons pour lesquelles le groupe s’est mis en stand-by pendant presque dix ans. Avant une inespérée reprise.




[i] Cité sur Milk Milk Lemonade, [en ligne] http://milkmilk-lemonade.blogspot.fr/2006/08/secret-shine.html
[ii] Interview de Scott Purnell par Jen Dan, sur Desilusion of Adequacy, 3 juillet 2007, [en ligne] http://www.adequacy.net/2007/07/interview-with-secret-shine/
[iii] Interview de Scott Purnell par John Girgus (du groupe Aberdeen, ex-Sarah Records), sur Third Outing, 6 décembre 2015, [en ligne] http://www.thirdouting.com/interviews1/secret-shine-interviewed-by-sarah-record-mate-john-girgus-of-aberdeen
[iv] Interview de Scott Purnell par Jen Dan, op. cit.
[v] Interview de Scott Purnell, sur When the sun hits, 2 novembre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/11/interview-scott-purnell-of-secret-shine.html

1 mai 2014

Fiche artiste de Spirea X

Spirea X

Spirea X est le groupe de Jim Beattie après que celui-ci fut viré de Primal Scream, dont il utilisera une chanson pour baptiser son nouveau projet.
En fait le groupe correspond à la première collaboration entre Jim Beattie et celle qui allait devenir sa petite amie, Judith Boyle. Responsable de l'esprit néo-sixties de Primal Scream, époque C-86, il est donc normal qu'on retrouve cette ambiance hédoniste avec Spirea X. Mais le groupe, auquel il faut adjoindre Andrew Kerr, brasse beaucoup plus large encore : groove de type Madchester, légereté de type shoegaze, avec une bonne dose de délire et d'inventivité ; leur musique ne ressemble à rien d'autre.

Fiche artiste de Bleach


Bleach


Parmi tous les groupes shoegaze qui ont pu émerger en peu de temps sur la scène du rock, certains n'y firent qu'un bref passage, parfois même dans l'anonymat le plus complet.
C'est le cas pour cette formation d'Ipswitch, qui cristalise à merveille toutes les injustices dont le monde de la reconnaissance est capable.
Car leur style, innimitable et reconnaissable entre mille, vaut le détour !
Mené par la charismatique et forte tête Salli Carson, Bleach est un groupe anglais qui s'est formé en 1989, avec les frères Neil (guitare) et Nick Singleton (basse), ainsi que Steve Scott (batterie).
Leur parcour sera somme toute classique : d'abord des EPs, "Snag" et "Decadence", une apparition aux BBC Sessions puis un album. Mais le groupe paiera les faibles ventes de l'album, bien qu'un single, "Shotgun" en soit issus. Avec le temps, le chaos remplace l'évanescence, et les fans s'y perdent, pour peu qu'ils en aient eu véritablement.
Deux autres EPs paraitront en 1992 puis en 1993, "Hard" et "Fast", avant une séparation inévitable. Regrets éternels.

Bleach : Bleach EP



Bleach EP de Bleach

Sortie : 1992
Produit par : Bleach
Label : Way Cool


Salli Carson n'est pas une fille comme les autres. Elle clame haut et fort son caractère : elle est butée, sans concession, brutale même, mais sait aussi se faire douce.
Et cela s'en ressent dès les premiers efforts du groupe, ici regroupés sur une compilation, formée des deux EPs du groupe.
Le style de Bleach aurait pu n'être qu'un embrouillamini invariable de saturations. Au lieu de ça, entre voix caressante (le magnifique "Decadence") ou phrasé agressif (le tortueux "Burn"), Salli Carson réussit à faire du vacarme une revendication. Elle arrive à donner une dimension épique, comme la leader d'un mouvement révolutionnaire, tout en rappelant que le rock ne doit servir qu'à une chose : la superficialité. Le plaisir brut de faire cracher les guitares.
Et c'est là que Neil Singleton, superbe guitariste, offre son concours précieux, en faisant de feedback et autres distos, d'improbables mélodies. Amoureux du krautrock et du noise, il fera des chansons de Bleach des modèles de trips lunaires. Effet renforcé par une section rythmique redoutable, particulièrement lourde, répétitive et insistante.
Ce qui n'empêche pas pourtant les morceaux de décoller, comme le mirifique "Seeing", vocalises oniriques sur d'écrasants brouillages sonores. C'est là que le rôle de Salli est prépondérant : elle va donner de la force et du sens.
Mais encore à ce stade, tout est brouillon, empreint d'une énergie sans aucune mesure, ce groupe ayant une approche viscérale, presque violente, faisant d'eux les maîtres hardcore du shoegaze, ce qui n'épargne pas quelques accrochages au passage.

28 avril 2014

Secret Shine : Untouched


Untouched de Secret Shine

Coup de coeur !

Sortie : 1993
Produit par Corin Dingley
Label : Sarah Records

Déballant un incroyable arsenal instrumental, à coup de basse racée, d'arpèges brillants, de batterie cérémoniale et d'harmonies célestes, ce groupe signe une symphonie condensée, démesurée et à la grandeur exubérante. Le jeu, tout en saturation, créé un décorum parfait pour les voix vaporeuses, immaculées et légères, dont les échos sont d'une beauté à couper le souffle. Les chants sont si éthérés qu'on croirait entendre des anges (« Temporal »). Ces titres, assez lents, très majestueux, sans véritable couplet, ni refrain, et dont on comprend à moitié les paroles, sidèrent pourtant par leur magnificence inégalée, leurs mélodies cachées, leur maniérisme de cathédrale. Des pièces comme « Into the either » ou « Toward the sky », sont des joyaux compliqués, recouverts de voiles multiples, tant et si bien que tout se mélange, sans rien perdre de la grâce. Malgré la guitare sèche, un titre comme « Sun Warmed Water » reste extrêmement vaporeux et difficilement tangibles, surtout lorsque la batterie frappe fort et que tout est noyé sous les distorsions.

En quelques pièces riches et exigeantes, Secret Shine redécouvre une merveille d'intensité dont le flot cristallin nous entraîne dans des dérapages inouïs. Untouched est un miracle. Une sorte de soleil noir qui nous réchauffe et nous enveloppe dans sa clarté brumeuse pour réveiller en nous des impressions de douces tristesses. Sommet inconnu du mouvement shoegazing, considéré à tort par la presse de l'époque comme un opus de second ordre par rapport aux chef-d'oeuvres que sont Nowhere de Ride ou Souvlaki de Slowdive, Untouched arrive pourtant largement à leur hauteur. Il se veut même la plus parfaite déclaration d'amour à la mélancolie.

C'est sans doute pour cela que cette musique incroyable nous touche autant : profondement tourmentée, désespérement en quête de rien d'autre qu'elle-même, magiquement délicate, discretement insidieuse, simplement envoutante...

17 avril 2014

Spirea X : Fireblade Skies


Fireblade Skies de Spirea X

Sortie : 1991
Produit par Jim Beatie et Dave Pine
Label : 4AD


Spirea X s’est lancé dans un pari fou : ressusciter l’esprit hippie. Et avec leurs arpèges délicats, leur indolence et leur groove dans le rythme, leur simplicité mélodique, leurs chants de chérubins et leur esprit bon enfant (« Smile »), ils arriveront à redonner un souffle moderne à cette époque d’insouciance. Après tout, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose de la part d’un ex-membre de Primal Scream. En fait le groupe correspond à la première collaboration entre Jim Beattie et celle qui allait devenir sa petite amie, Judith Boyle. Jim Beatie étant responsable de l'esprit néo-sixties de Primal Scream, époque C-86, il est donc normal qu'on retrouve cette ambiance hédoniste avec Spirea X. Mais le groupe, auquel il faut adjoindre Andrew Kerr, brasse beaucoup plus large encore : groove de type Madchester, légèreté de type shoegaze, avec une bonne dose de délire et d'inventivité ; leur musique ne ressemble à rien d'autre.
On retrouve pas mal d'esthétisme assez décalé, flottant quelque part entre délires indoux (« Chlorine ») et mysticisme psychédélique (« Nothing happened yesterday » et ses guitares sèches, ou bien la reprise de Love). Pas de guitares saturées ici, mais beaucoup de finesse et d'originalité dans les arrangements. Les ambiances très chaloupées et paresseuses évoquent de tendres réminiscences des sixties, ou plus proche de nous, des débuts des raves parties en Angleterre. Bandes passées à l'envers, guitares claires, clavier (le magnifique « Fire and light »), voix adorables et éthérées, chœurs dédoublées, tout concourt à faire durer le plaisir et à surprendre au cours de ce voyage vers la flânerie et l'utopie. Il est donc logique de voir le groupe lorgner parfois vers l'esprit des Stones Roses, voire se taper un délire électro-shoegaze, comme sur le bizarroïde « Rollercoaster ». Globalement, un certain esprit bon enfant est de mise, à l'instar des légers « Speed Reaction » ou « Sisters and brothers ». Dans leur monde à eux, tout n’est que bonne humeur et magnificence enfantine. On se laisse bercer alors dans des états proches du trip. Le tranquille et soporifique « Confusion in my soul », avec ses percussions et son chant soufflé ne sert qu’à entrainer la torpeur. Pour Spirea X, le bonheur se trouve dans le partage, le goût pour la défonce et l’esprit de communauté.
D'ailleurs de la morgue ou de la suffisance, ce groupe n'en avait pas, se contentant de pratiquer une musique perdue quelque part dans les affres de l'art pop. Et personne ne réussit à savoir ce que réellement le groupe voulait leur montrer. Jamais violent, jamais à fond mais jamais perdu dans une contemplation béate non plus, Spirea X écrivait juste des chansons délicieuses et innocentes. Pouvant même atteindre des sommets comme le final « Sunset Dawn », sorti d'un rêve. Vocalises à la fois masculines et féminines, soufflant en canon comme des anges, pour une chanson à tiroir, commençant dans le lyrisme et se poursuivant dans la libération festive et positive, s’achevant dans un mix concassé, où on reconnait une fanfare. Avant de reprendre tout doucement avec une simple guitare sèche qui accompagne la voix déchirante et belle à pleurer de Jim Beatie, achevant le morceau dans une méditation teintée de nostalgie. 

27 mars 2014

Miss Bliss : Miss Bliss

Miss Bliss

Date : 1996
Produit par Jason Kuehn
Label : Meltdown

Aux débuts de Miss Bliss, le groupe se cherchait encore, tâtonnant et explorant divers angles d'approche, pour aboutir au mieux à leurs envies de rêve et d'évasion. Côté musicien, c'est d'ailleurs une vraie salade, les membres apparaissant au grès des besoins dans les studios pour deux sessions d'enregistrement, une en décembre 1993, l'autre à l'été 1994. Au grès des chansons, ils s'échangent leur place ! Un coup le guitariste devient bassiste et vice-versa, un autre, on prend subitement le micro le temps d'une chanson, quant aux batteurs, ils seront deux à se succéder. 
Bringuebalant et hasardeux, cet album n'est que le reflet de ses débuts erratiques. La plupart du temps, Miss Bliss veut se lancer à l'assaut de l'imagination pour l'emmener sur des territoires cosmiques assez lointain, en tout cas dans le space-rock, à défaut de sortir du système solaire. "Pinwheel" est splendide à ce titre, avec son arpège cristallin noyé sous les saturations, ou l'instrumental "Above", où les guitares se perdent dans un embrouillamini de mélodies. D'ailleurs, "3 Spacemen", avec son orgue entêtante, sa voix fatiguée, son rythme indolent, se veut un pastiche du groupe culte de Rugby.
Mais à d'autres instants, Miss Bliss se love dans une musique plus douce et innocente, comme avec "Walk on by" et ses guitares sèches, tambourins et autres guitares byrdsiennes. "Shine" remue comme une balle élastique et "Swing" se fait langoureux. Cependant, on a du mal à retenir l'unité de tout ceci. Hormis les voix douces tout du long, le positionnement est fluctuant. 
Heureusement, cet essai, dont certains titres auront le droit à une remixage, contient déjà quelques perles comme l’envoûtant "Coming in waves". Comme son nom l'indique, il s'agit d'une mélodie qui tourne en boucle, basée sur une petite guitare et surtout une basse profonde, tandis que des vagues de saturations déboulent à intervalles régulières. Magique et fascinant. Un des plus beaux morceaux shoegaze.
Un peu perdu cependant au milieu de ce premier opus inégal. Qui sera que l'avant-goût des albums suivants, bien plus assurés et réussis.

14 mars 2014

Schroeder : Moonboy

Moonboy de Schroeder

Sortie : 1994
Produit par Charlie Hill
Label : Zowie Records


Larry DiMaio était un dingue de l’Angleterre, fasciné par ce qu’il se passait là-bas, les boites de nuit, les raves, la dream-pop sous ecstasy. Bien qu’originaire d’un quartier pauvre, situé à quelques kilomètres de New-York, où les labels cherchaient le nouveau Nirvana, et n’ayant jamais réussi vraiment à percer, il était convaincu de pouvoir faire bouger les foules et de les faire rêver. Avec le titre « Heavenly », certainement son meilleur morceau, avec ses rythmes accélérés, ses ‘aaaaah’ langoureux, son ton un poil précieux, il livre là un shoegaze féerique passé au mixer, avec un refrain magnifique, plein de force et de vie. Larry chante avec ferveur, conviction, comme s’il exhortait les gens à danser jusqu’au bout de la nuit. 
Avec lui, tout peut aller vite, très vite. Le rythme est surmultiplié. Il subsiste pourtant une sorte de magie incroyable : cette espèce de frénésie dans les guitares s’allie parfaitement avec le ton féerique qui évoque Ride, The Veldt ou les Stones Roses (« Too Beautiful » ou « Jewel » et ses saturations en forme de décollage d’avion). Il n’y a aucun temps morts sur ces morceaux et les instruments forment alors un tout, un vrai mur du son dévastateur. On sent l’ivresse nous gagner. D’ailleurs, Schroeder l’a bien compris puisque le groupe joue sur cet enivrement. Les guitares s’additionnent sans retenue pour sonner comme dans un tourbillon. Appuyée par une basse qui joue un rôle fondamental dans le maintien de la cohérence, malgré les déferlantes saturées qui arrivent successivement sans s’arrêter une seule seconde, le rythme sonne et donne le tournis ("Sweeter than you"). Ça fuse, ça boome, ça fracasse tout, pourtant, tout ceci pour aboutir, comme sur « Metdown » à une musique onirique à souhait.
Le groupe met tout ce qu’il a dans les tripes pour au final aboutir à des nappes délicates de saturations, aux voies douces, doublées et à l’esprit dream-pop, dont il se réclamait (« Head » ou bien le grandiose « Vitamine Purple »). Le guitariste Nick DiMaria rappelle : « Bien que Larry et Ersk (leur génial batteur) étaient convaincus qu’on allait devenir des phénomènes, je pense que Michael (le bassiste) et moi on aimait juste faire du bruit. Larry cependant visait toujours juste, notre musique savait se faire irréelle. C’était ce qui nous rendait attractifs. »[i] Car au-delà de créer une ambiance digne de Madchester, l’homme cherche à se libérer et à exprimer ses propres ressentis.
Et là, on touche à autre chose, une musique décalée, peu en phase avec ses contemporains américains (et on le leur fera bien savoir). Cette fougue n’est pas si innocente, elle cache en réalité des failles et des fragilités, qui transparaissent lorsque le tempo ralentit pour une longue ballade aux voix soufflées (superbes « Blue » ou "Head"). Ou sur des plages oniriques ("Waste of time"). Nick reconnait que le groupe était en réalité affecté : « J’imagine que nos concerts devaient être très différents des shows punk ou des festivals hippies auxquels les gens se rendaient. On n’a jamais réussi à s’intégrer dans un des camps qui prévalait à l’époque. On jouait des chansons maniérés mais de manière très bruyante et avec suffisamment de colère durant nos live pour que le public y réponde. Cette colère devait probablement venir de différentes casseroles qu’on se traînait tous en dehors du groupe. Je me souviens aussi que Larry était très très chaud entre chaque chanson durant nos performances. »[ii] Cette ambivalence entre l’aigreur rentrée, le désir de s’évader dans le rythme effréné et ce goût pour l’onirisme, va aboutir à des titres de la trempe du divin « Mod Revolve ». Un morceau au début calme et atmosphérique, avant de devenir plus rayonnant avec les claviers et enfin plus ardent avec les saturations. Ou encore le long "Blue", émouvant et grandiloquent. Fantastique.


[i] Nick DiMaria cité par Hangnail Phillips, 1 septembre 2013, [en ligne] http://hangnailphillips.com/?p=389
[ii] Idem

The Rosemarys : The Rosemarys

The Rosemarys

Sortie : 1994
Production : Kevin Moloney
Label : Fox Records

Avec ses pochettes d'influences psychédélique, Tim Ong tourne (pour un temps) le dos à la mélancolie et l'auto-apitoiement. Les titres seront ostensiblement plus pop et donc, de fait, plus accessibles. 
Les chants se feront même plus suaves, avec ce petit souffle qui se veut sexy, comme si l'homme qu'on connaissait torturé, souhaitait aller au contact de l'auditeur ("Dizzy Girl", moite et velouté). Le groupe jouera d'ailleurs davantage sur les effets de guitare pour créer un climat flottant et/ou précautionneux. 
On obtient des chansons sympathiques, au refrain prenant, suffisamment cool et subversives pour évoquer les belles heures du Flower Power ("Catherine"), avec tambourins, batterie calme, saturations à peine . Ou même avec des guitares rageuses au milieu des claviers à consonance indienne ("Higher").
D'autres dériveront vers l'abstraction pure (le contemplatif "Sparkle" et l'intervention de Sonya Waters, la chanteuse de Orange), voire l'apathie (le très lent "Katherine", proche du slowcore).
Parfois cela a du mal à décoller. Ces plages reposées manqueront du pathos qu'on avait lors du premier album et se contenteront d'être de beaux moments apaisés, sans avoir la force, ni la percussion nécessaire pour marquer profondément l'auditeur dans son être, comme Tim Ong avait su le faire auparavant.
Cet album est donc le négatif du premier. Peut-être plus humble et plus sincère, mais obligatoirement moins tragique.

27 février 2014

Amp : Astralmoonbeamprojections

Astralmoonbeamprojections de Amp

Date : 1997
Production : Richard Walker 
Label : Kranky

En faisant appel à la délicieuse Karine, Richard Walker apparaît moins seul et ajoute une couleur chaude, sexy et angélique à sa musique expérimentale. Elle est beaucoup plus vaporeuse, plus onirique et séduisante sur ce deuxième album. Le niveau d’abstraction est repoussé encore, tant les minutes défilent (c’est presque un double-album !) et que les bases rythmiques, les nappes d’échos, les distorsions, fusionnent en un tout éthéré.
De toute manière, tout fusionne, des lettres des titres de chansons, jusqu’aux instruments et voix, en passant par les tâches de couleur de la pochette, désignée par Richard Walker lui-même, qui, il faut le rappeler, à signer l’artwork de beaucoup d’albums de… Creation Records !
L’hommage au shoegaze est évident. Le shoegaze base sa philosophie sur une envie brûlante de confondre le bruit déployé et la mélancolie de ses auteurs. Ici Richard Walker va jusqu’au bout des choses, impossible de distinguer ce qui est humain (les vagues râles de Karine), ce qui est organique (les percussions, la batterie) et ce qui est électronique (les claviers), tant chaque partie est en réalité enregistrée, réexploitée, remixée et réverbérée. Si la voix sonne comme un fantôme et les guitares comme des échos vaporeux, ceci sur une dizaine de minutes répétées sans coupures (« Transmigration »), alors on a l’impression que les choses peuvent s’interchanger, que le chant humain devient une nappe et que les petits bruits de clavier sont en réalité des interventions de créatures.
Ainsi sur « Polemic », Karine Chaff finit par scander une liste de mots dans un poème parlé à la manière d’une machine, tandis qu’une basse sourde et un mur du son marquent l’espace d’une empreinte animale. Richard Walker, dans sa réflexion, abandonne toute idée de morceau rock, pour n’avoir que des contemplations éperdues et désossées. N’ont le droit d’exister que la batterie et les distorsions (« Onehopeincertainly », quelque part entre Flying Saucer Attack et Sonic Youth).
Son plus beau chef-d’œuvre est incontestablement « Stellata », une véritable odyssée shoegaze, magnifié par des vagues de saturations qui déboulent par-dessus une guitare sèche imperturbable et une section rythmique militaire, solennelle et presque grave. Le chant aérien et céleste de Karine se joue de ce mur du son lent et imposant pour s’envoler dans des grâces impalpables. De par son caractère magique, il permet à ces longs passages de gagner en majesté et en clarté. 

15 janvier 2014

Bleach : Killing Time


Killing Time de Bleach

Coup de coeur !

Sortie : 1992
Produit par : Nigel Chopper Palmer
Label : Chameleons

Des coups de caisses martiaux (le batteur ne connaît quasiment pas les cymbales !), une basse proéminente, une voix hallucinée et déclamatrice (la chanteuse Salli Carson possède un charisme singulier) sur fond de saturations électriques hachées menus: les chansons du groupe d'Ipswitch sont de longs trips dont on ne voudrait jamais retomber.

Entre déluge sonore, martelement aguicheur et accélérations sans fin, le son super puissant de Bleach est tout bonnement stupéfiant. Les mêmes accords, les mêmes phrasés agressifs (parfois rap, parfois pop) de Salli Carson, les mêmes frappes rugueuses sont mis en boucle, filtrés par des distorsions ébouriffantes ("Headless", "Trip & Slide" ou le splendide "Tangle"). On s'en prend plein la tête de bout en bout, et jamais un album n'avait sonné de manière si brutale, si syncopée !
Paru en pleine effervescence du courant shoegazing, qui alliait un sens de la mélodie et de la grâce à un sadisme implacable visant à passer le tout sous un pilonnage en règle, Bleach est le groupe d'un seul album. Mais quel album !
Parfait, sans fléchissement, impressionnant de monstruosité, Killing Time livre des hymnes déglingués et plombés où batterie énorme et saturations donnent le tournis. Et lorsque le ton se fait plus atmosphérique et la voix de Carson carrément céleste et enjôleuse, comme sur "Paint My Face" (sans doute une des plus belles chansons de ce style unique) alors le trip se transforme en voyage prodigieux dont les réminiscences hantent encore.