27 décembre 2009

The Ropers : All the time


All the time de The RopersSortie : 1995
Produit par Kurt Ralske
Label : Slumberland


Finalement, que manque-t-il pour être reconnu ? La marge est si étroite ; d'un côté, on a une intense et évidente qualité, une propension à signer des titres adorables et de l'autre côté, un rendez-vous manqué avec son époque, son public, probablement mal informé.

Cela ne veut surtout pas dire que les mélodies sont ici trop absconses ou trop floues, bien au contraire, elles sont la base des morceaux, tissés par des guitares très anglaises, très indie pop, très shoegaze aussi, soutenues en arrière par une section rythmique propre sur elle et juvénile. De ci, de là, quelques touches de xylophones, de piano, des violons majestueux, une orgue ancienne, des tambourins agités, dont les apports subliment cette douceur ambiante pour la hisser vers une certaine solennité timorée et naïve.
Les mélodies ne se cachent pas, embrassées avec une tendresse infinie, mais rien n'est pourtant enjoué. Le tempo est souvent en deçà, grâce à une basse géniale, et lorsqu'il l'est, son appui est situé un cran en dessous d'un engagement total qu'on serait en droit d'avoir lorsqu'on écoute une chanson pop, avec couplet évident et refrain tapageur. Des titres évidents « Revolver » ou « You have a light »,  sont d’une douceur telle qu’il est difficile de les agripper. Il y a un je-ne-sais-quoi de triste malgré cette majesté (particulièrement visible sur « Flashlight »). 
La plénitude délicieuse des titres de cet album en tout point réussi englobe l'auditeur, elle l'immerge, il se trouve au milieu d'une succession de nuages flottant de saturations, de voix douces mais empreintes d'une certaine hauteur et d'une certaine maladresse à vouloir se faire convaincu par la majesté fragile dégagée. Parfois même les mélodies prennent le temps de se déployer, comme sur « Drive » ou le déchirant crescendo qu’est « Mystery », elles s'étirent, se laissent recouvrir par des nuages de guitares ou de chants, s'ensablent en quelque sorte. Le déploiement est tellement progressif que l'auditeur est conforté dans sa passivité comme la meilleure réaction à observer. « Rain » et sa litanie soutenue par des claviers ou « Spider Web », assument leur lyrisme chevrotant. 

Les chants en rajoutent dans la douceur et les tremolos, les accords à la guitare enchaînent les lignes harmoniques savoureuses et les saturations bienvenues apportent de la grandeur à ce romantisme adolescent. C'est ainsi que la beauté des chansons prend le plus de poids.

24 décembre 2009

Fiche artiste de Swirlies


Swirlies
Le groupe mené par Damon Tuntunjian est réputé comme le plus instable et le plus fantasque du shoegaze américain. Son rock lo-fi sera un exemple de la scène indie pop aux Etats-Unis. 

Mais c’est avant tout par ses frasques que le groupe se fait remarquer. Destructions de chambre d’hôtel, de voitures de location, signatures de contrats avec des gens peu recommandables et qu’ils connaissaient à peine, et ce, jusqu’à ce que l’image de « groupe à problème » leur colle à la peau. Voyant que le groupe n’est qu’un moyen irréversible de s’écrouler financièrement, certains membres finiront par quitter le navire et ce sera le début de nombreux turn-over.

Swirlies : What to do about them


What to do about them de Swirlies

Sortie : 1992
Produit par Swirlies
Label : Taang!

Ce groupe se moque vraiment du monde : c'est le bordel, le vrai bordel partout, un maelstrom de larsens à tous les étages, en multi-couches, jusqu'à gavage, associé à des distorsions qui font mal, des cris, des bourdonnements incessant.
Mais au milieu de tout ça, un équilibre précaire, hyper hyper fragile se fait malgré tout, grâce à des chants féminins et masculins d'une nonchalance et d'une absence adorables, instaurant des mélodies imparables alors que tout autour c'est le fracas.
Nerveux, torturé, tranchant, ça prend aux tripes, que ce soit sur "Don't Understand" ou l'extraordinnaire "Tall Ships", car en réalité, sous les couches de guitares, c'est sans cesse changeant, une accélération fulgurante, un ralentissement, une cadence plus punk ou plus groovy, une pause lo-fi groovy, des sons riches et pourtant crades, des chants variés, entre déconfiture et grâce, comme on n'en avait plus entendu depuis le "Isn't Anything" de My Bloody Valentine ("Sarah Sitting" est soit un clin d'oeil, soit un plagiat), un groove intelligent mené par une batterie complètement folle et une basse rusée et maligne.
Cela reste malgré tout un premier EP expérimental, qui regroupe les tout premiers enregistrements faits maison du groupe, et il subsiste des intermèdes bizarres, accalmies à la guitare sèche, sous produites et recouvertes de larsen. Cependant on peut noter qu'au cours de "Chris R", rempli de douceur, la partition fait rêver, tandis que sur "Upstairs", le rythme emballant fait vriller la tête, synthèse de tension, d'énergie et de folie.
Ces mélodies déglingées sont structurées à la va-vite par ce shoegaze presque noise, presque free, aux guitares mordantes et aux changements de structure, voire pur moment d'improvisation. Cela demande encore à être canalisé mais tout est déjà dit : toute limite est là pour être dépassée.

22 décembre 2009

Fiche artiste de Toyen



Toyen

Bien qu'ayant démarré officiellement en 1989, peu de temps après la Révolution de Prague, Toyen était particulièrement attendu, tant par la presse que par une frange importante de la jeunesse estudiantine, car ses membres faisaient auparavant parti du groupe légendaire Letadlo, réputé pour avoir été censuré à de maintes reprises par le régime communiste.
A la base : Petr Chromosky à la guitare et au chant, Ivo Heger, le guitariste qui écrira la majorité des chansons, Petr Vaclavek, le bassiste qui écrira quant à lui toutes les paroles et Jimi Simecek, à la batterie, leader du groupe.
Le miracle de Toyen (dont le nom fait écho à celui choisi par la célèbre peintre suréaliste tchèque, Marie Cerminova) est d'avoir eu un temps d'avance à chaque fois sur ses contemporains. Ce sont eux qui les premiers vont dénicher dans les disquaires, à la sauvette, sous le manteau parfois, des vinyls de formations indépendantes, Echo and the Bunnymen, New Order, Ride, Jesus and Mary Chain, The Smiths, qui oseront chanter à la fois dans leur langue natale et en anglais, qui pratiqueront une musique innovante pour la scène tchèque, low-tempo, mélancolique, teinté de new-wave, comme sur leur premier maxi "Following the disappeared railroads", en 1991, qui se hisseront au sommet des charts tchèque, une première pour un groupe alternatif, et qui se feront remarqués par les chaînes de télé américaine (c'est Scott Murphy, superviseur de la chaîne ABC, qui prendra le groupe sous son aile après avoir vu quelques concerts dans les pubs de Prague) à tel point qu'on leur proposera une tournée dont le point d'orgue fut certainement une session au célèbre BCBG's, le club de New-York.
Le groupe voit alors sa carrière décoller avec une signature sur une division de Sony Records, un album, "Last Free Swans!" en 1992, beaucoup plus dur et lourd, produit par Colin Stuart, qui fera rentrer Toyen de plein pied dans la vague shoegaze du pays, une nomination aux Grammys local, des concerts en Angleterre, et enfin une reconnaissance de la part de MTV Londres, où durant la célèbre émission 120 minutes, Toyen aura le droit à un portrait, avec des extraits de live et un clip vidéo, réalisé par David Ondricek, ami du groupe, et futur réalisateur du film culte Septej.
C'est lorsque le groupe est au top que Ivo Heger décide de partir se consacrer à un autre projet, The Way. C'est un coup dur, car malgré le remplacement par Jiri Krivka, le groupe pert de son identité d'antant. Pourtant en 1993, Toyen signe sur BMG et prépare un deuxième album avec Jan Muchow, le leader de Ecstasy of Saint Theresa. Il sera même invité par Depeche Mode pour faire leur première partie. Alors qu'on pourrait croire à la consécration, Jiri quitte lui aussi le groupe, en pleine tournée aux Etats-Unis, qui avait été organisée de nouveau par Scott Murphy, et c'est le glas du groupe.
En 1997, le troisième et dernier album, "Ia Orana", dont le style revient à celui des débuts, est publié, produit par Ivo Heger, l'ex-guitariste, accompagné d'un documentaire tourné par David Ondricek qui paraitra à la télé tchèque uniquement, afin de sceller définitivement l'histoire de ce groupe ô combien fondamental pour l'histoire du rock indépendant en République Tchèque.

20 décembre 2009

Fiche artiste de Here



Here

L'aventure Here, longtemps groupe de post-rock, a commencé en 1990, à Prague, quelques temps après la Révolution de Velours, au moment où de jeunes musiciens allaient tomber sur des disques de My Bloody Valentine, The Boo Radleys ou Ride. A l’époque, on trouvait Martin Pecka à la batterie, Pavel Koutny à la basse, Tomas Luska et Znedeck Marek aux guitares, et bien-sûr Michaela Klímková au chant, elle qui allait soutenir de sa voix angélique, le shoegaze nerveux et bouillonnant du premier album, « Swirl » en 1993, et produit par l’inévitable Colin Stuart, qui aura été décidément déterminant pour l’éclosion de la scène shoegaze tchèque.
Peu de temps après, John Peel les invitera à participer à ses sessions sur la BBC, regroupées par Alison Records sur l’album « Sikusaq » deux ans plus tard. Sortie qui scelle la première époque du groupe, avant l’arrivée de la française Valérie et le glissement progressif vers l’avant-garde.


18 décembre 2009

Here : Here EP



Here EP de Here

Sortie : 1993
Produit par Colin Stuart
Label : Indies Records

Avec Here, on a l’impression d’être écrasé par la majesté. Les guitares ont beau être ultra ultra lourdes, recouvrant presque totalement les chants apprêtées et angéliques, il reste malgré tout toujours de la place pour un lyrisme enchanteur qui explose en pleine figure au moment où les saturations s’emballent.
C’est puissant, rapide, emballé, furieux par moment, on comprend plus rien aux paroles, mais un vent de fraîcheur, de nouveauté emballe le tout et procure mille sensations merveilleuses. Le rock dans son essence la plus rudimentaire ! On est secoué dans tous les sens (le nerveux « Scars in Day » ou le très commun « Shaking Out ») mais on en redemande encore, car à chaque fois le rythme effréné nous emmène plus loin, plus haut, dans la lumière et une éclatante envie d’en découdre.
L’arrivée des saturations sur le très dansant et rêveur « Stand » (avec son petit côté madchester qui n’est pas pour déplaire) est vécu comme une libération, un exutoire, capable de transporter cette ambiance volage, volatile et volubile vers des sommets magiques.
Cette coulée pesante mais merveilleuse, qui coule et qui parfois glisse sur le diamant, sert d’écrin basaltique à la douce voix de Katerina, qui joue d’élégance et de féminité, s’appuie sur des gerbes de guitares pour mieux se déployer, se fait toute douce vers la fin, s’amuse avec le mid-tempo, avant de s’éclipser devant une accélération ébouriffante qui conclue ce « For my star » d’anthologie.
Avec ce tout premier single, Here s’inscrit en droite ligne dans le courant shoegaze, sans surprendre, mais en insufflant une énergie sans pareille, qui place le groupe comme un des précurseurs fondamentaux de la scène shoegaze tchèque.

Toyen : Last Free Swans !


Last Free Swans ! de Toyen

Sortie : 1992
Produit par Colin Stuart
Label : Bonton Music

Quelqu’un a dit un jour : « les années 90 semblent plus éloignées de nous que les années 60 ». Et ça parait tellement vrai lorsqu’on constate que la majorité des groupes indépendants de cette époque sont tombés dans l’oubli. C’est une grande erreur car durant ces années-là, ils furent nombreux à signer de véritables tubes à peine sortis du magasin de location de guitares.
Aussi, il est à la fois tout à fait logique et imparablement injuste que Toyen, formation tchèque, figure parmi les inconnus de la scène des nineties. Figure incourtounable et tutélaire en son pays, Toyen n’évoque rien dans le reste du monde. Quel dommage !
Car avec Last Free Swans !, en 1992, Toyen mérite le détour et se présente comme un des trésors cachés de la scène indie pop et shoegaze.
Simples, entraînants, tourbillonnants, hautement mélodiques, les titres (on peut citer « The Flower Inside », « Don’t turn away » ou encore « Freight Train ») charment d'entrée de jeu, sans se compliquer et en misant sur la mise en relief de refrains impeccables. Les guitares se mélangent énergiquement pour composer des ambiances dynamiques et saturées, sur lesquelles vient se poser la voix claire et forte de Petr Chromovsky. On retrouve cette fausse classe, mélange de timidité et de morgue qui faisait l'attrait de cette époque intemporelle.
La seule exception est peut-être cette guitare métallique tremblante, accompagnant la voix grave et lyrique sur « Perfect Person », le tout parsemé de distorsions fantomatiques, qui glisse vers un flou artistique plus assombri.
Toyen fait preuve également d’un incroyable don d’écriture avec des chansons au tempo plus catchy et à la production plus éclatante, signé Colin Stuart, qui une fois encore aura tant fait pour la scène tchèque.
C’est un goût pour la magie et l’évasion qui pousse le groupe à se risquer à de superbes ballades comme l’extraordinaire « Last Free Swans ! », joyaux shoegaze méconnu, qui s’ouvre sur une intro arabisante, s’immerge dans la féerie et la douceur avec sa guitare sèche, avant d’être zébré par des guitares électriques, ou encore le final « I am rolling », avec une ambiance entre piano-bar et dream-pop.
On retiendra tout de même, pour finir, le génial « Puppet Show », où tout y est, tout est dit, superbe titre accrocheur, qui se permet de n’avoir rien à envier aux autres tubes de l’époque.

17 décembre 2009

Ride : Smile



Smile de Ride

Sortie : 1990
Produit par Alan Moulder
Label : Creation Records

Lorsqu’on est jeune, on peut tout se permettre, et finalement les choses paraissent simples. Il suffit de prendre une guitare et en avant. C’est ce qu’on fait les quatre gamins d’Oxford. Exactement ça.
Cette compilation américaine des deux premiers EP du groupe est la stupéfiante démonstration du culot de ces gamins surdoués. Faire cracher les amplis, user des pédales steel à fond, produire un son noisy à déchirer les oreilles : c’est si commun et si jouissif ! D’autant que ces premiers essais se dotent de quelques approximations, tant dans la production que dans le chant ou le jeu (par exemple sur « All I can see »), ce qui confère beaucoup de charme aux chansons, et ne rajoute finalement que plus d’enchantement à cette défonce musicale.
Comment ne pas succomber à l’énergique « Chelsea Girl » ? C’est un premier single et c’est déjà un coup de maître ! Ils sont peu nombreux ces groupes à avoir réussi du premier coup. Ride utilise un son pourri mais il possède quelque chose d’indéfinissable et qui fait de Ride un groupe adulé comme jamais : un talent innée pour les mélodies évanescentes. C’est un brûlot mais c’est aussi un single qui enchante, qui adoucit, qui fait rêver. On aura beau dire, « Chelsea Girl » restera comme une hymne, une ode à la jeunesse, livrée à vive allure, sans prendre le temps de réfléchir, sans prendre le temps de réfréner les distorsions, en scandant à la manière d’enfant de cœur des paroles naïves qui resteront dans les annales de la pop musique. 
Il se dégage de ce recueil un incroyable sentiment de puissance, comme si c’était la jeunesse qui prenait le pouvoir, une puissance lumineuse, rayonnante, qui dévaste tout sur son passage, à l’instar du frondeur « Furthest Thing ». Le chant hésitant et extrêmement doux de Mark Gardener s’envole et se drape de suavité timide au beau milieu de tambourins qui claquent, de caisses martelées et de guitares triturées, souvent trop et qui dérapent du coup facilement. « It’s time for a change, I’m not asking, I’m telling you », l’annonce est là, la jeunesse prend le pouvoir. « I’m watching, I’m listenning, but to touch seems the furthest sense away », tout est dit ici, on est dans l’action, dans l’expression d’une passion exacerbée mais qui ne va pouvoir passer que par l’honnêteté. 
Ride sait à peine maîtriser les guitares que déjà ils osent avec un culot incroyable de mêler à la puissance, des chœurs d’angelot, du lyrisme et de l’insouciance savoureuse. « Drive me Blind » et son intro tout droit sorti d’un rêve enchanteur, avant qu’une chape de guitares lourdes ne viennent recouvrir le tout, est un véritable miracle de fraîcheur et de nouveauté. Ce n’est pas l’intro presque indus de l’extraordinaire et indolent « Close my eyes » qui va faire changer les choses, car derrière les sirènes de guitares, il y a ce chant reposé, cette digression magique de fin et cette nonchalance adorable. Au pays de Syd Rotten, au pays de la révolte sociale, du crachat punk et du vomi, voilà que déboulent quatre garçons qui osent faire de la pop et chanter en faisant des « aaaaaah » mielleux. Comme sur « Like a daydream », joué à cent à l’heure avec un rythme infernal à la batterie, des tambourins qui cognent frénétiquement, des guitares qui s’entrelacent, et pourtant avec ces voix douces, doublées de vocalises ouatées. Ce n’est que pour mieux repartir vers l’avant, car la jeunesse, c’est ça, c’est partir vers l’avant sans sourciller, sans se poser plus de questions, en se laissant aller, et ne réfrénant rien.

16 décembre 2009

Fiche artiste de Deardarkhead


Deardarkhead

Parfois lorsque les galères s’accumulent et qu’il est difficile de se faire connaître, monter son propre label est un bon moyen pour se diffuser. C’est ce qu’ont fait les membres de Deardarkhead pour sortir leurs cassettes démos, « Greeting from the infernal village » en 1988 puis « Spiral Dawn and Away » en 1991, tout en écumant les salles de concerts.
Il faut dire que ce n’est pas forcément évident lorsqu’on habite Atlantic City dans le New-Jersey et qu’on lorgne plus du côté du shoegaze anglais que du rock traditionnel américain. Alors dès leur formation en 1988, le guitariste Kevin Harrington, le batteur Robert Weiss et le bassiste mais aussi chanteur Micheal Amper, se choisissent un nom de groupe tiré d’un poeme irlandais et en trouve un autre, Fertile Crescent Records, un prétexte pour sortir leurs démos.
Pourtant, après quelques galères et quelques tournées, ils arrivent à sortir et diffuser deux singles, qui leur permettent de se distinguer, de coucher sur CD, leur style particulier, entre évanescence shoegaze et froideur issue de la dream-pop, et d’être parmi les pionniers du mouvement aux Etats-Unis.
Il était donc tout à fait normal, malgré un hiatus de quelques années, de les retrouver figurant sur la compilation “Spashed with many a speck”, eux qui ont été les instigateurs de cette scène dont les nombreux autres groupes partagent aussi la play-list de ce double CD culte, comme Faith and Disease, The Von Trapps, ou The Sunflower Conspiracy.
Malheureusement, leur premier album, « Unlock the valves of feeling », pourtant un trésor caché, paraît près de dix ans après leur formation, sera à peine remarqué et sera par la force des choses, le dernier signe d’activité du groupe…

Discographie :

- Melt away too soon EP

- Ultraviolet EP

- Unlock the valves of feeling

14 décembre 2009

Deardarkhead : Oceanside 1991-1993


Deardarkhead : Oceanside 1991-1993

Date : 1991-93
Produit par Deardarkhead
Label : Captured Tracks

Quelle bonne idée que d’avoir rassemblé tous les singles de ce groupe formidable ! Il faut dire que dès leur formation en 1988, le guitariste Kevin Harrington, le batteur Rob Weiss et le bassiste Kevin M mais aussi chanteur Michael Amper n’auront connu que des galères, entre signatures sur micro-label, tournées dans des salles à demi-remplis, démos à autoproduire et presque dix ans avant de sortir un album. Ce qui ne les a pas empêchés de participer au mouvement shoegaze américain. Rob raconte : « On a démarré en 1988 juste avant que les gens se servent du terme shoegaze ou dream-pop. Au début, on s’est reconnu comme un groupe post-punk/indie/underground, influencé par l’Angleterre principalement. On était clairement des fans de shoegaze et à ce moment-là, c’était un descriptif pratique à utiliser pour que les gens identifient rapidement notre son. Mais finalement, tout compte fait, on est un groupe de rock, qui joue une musique atmosphérique, onirique et souvent bruyante. On aime penser qu’on a apporté notre propre pierre à l’édifice »[i].
Plus anglais qu'américain dans ses influences, Deardarkhead pratiquait un son qui rappelle la cold-wave, notamment grâce à une ligne de basse splendide et dont le rôle mis en avant est de dessiner une structure sourde et féerique, chose plutôt inhabituelle pour un tel instrument mais qui était très en vogue dans les années 80. « On voulait sonner comme une rencontre entre Jesus and Mary Chain et Cocteau Twins… onirique mais noisy. Je pense aussi que Cure, Bauhaus et Joy Division ont influencé nos premières chansons. »[ii]. En poussant la sophistication jusqu’au bout, avec une rythmique carrée, une ambiance de chambre froide, des guitares lunaires, répétitives et gorgées d’échos, des voix en retrait émotionnellement mais éminemment soignées et suaves, des nuages saturées qui font pourtant très propres sur eux, Deardarkhead propose sur ses singles un luxe maniéré.
Malgré les distorsions incessantes du superbe « Surf’s up » ou les éclats de guitares et de cymbales (« Oceanside ») survenant après une langueur entre jazz et cold-wave, on arrive au contraire à un hébétement dérangeant, car sans rancœur, ni frustration, sorte de flottaison émotionnelle au sein d’une chimère esthétique, à la fois riche, luxueuse mais aseptisée. Cela n’empêche pas le ton de demeurer extrêmement vif, brouillé et chargé, de manière à insister sur la charge de beauté que ces premiers titres comportent. Rob Weiss insiste : « Les effets de guitares et les textures qu’ils provoquent composent l’intégralité de notre son »[iii]. Derrière les couches de saturations de « Enough » se cache une immense beauté, un solo magique et sirupeux, une batterie répétitive mais souple et un chant tout à la fois affligé et léger.
Le tempo à la fois glacial et funky de « Strobelight » emmène l’auditeur dans un monde froid qui s’emporterait, bougerait sans cesse, vivoterait dans une sorte de chimère de papier glacé.
Les guitares tranchantes et cosmiques s’associent à une basse typée Sad Lover Giant ou The Sound, et une batterie robotique dans le but de dépeindre un univers totalement artificiel, dans lequel les membres de Deardarkhead se laissent aller à leur pulsion. Car le son reste malgré tout très enlevé. Une façon de faire imposée par les conditions limitées en studio, comme l’explique Rob Weiss : « La plupart de nos enregistrements a été fait dans un petit studio très étroit. On y va et on essaye d’enregistrer une chanson en quelques prises, comme si on jouait en live. On enregistre éventuellement sur plusieurs bandes au cas où on a aimé une prise. Les voix sont enregistrés après les instruments, juste pour avoir un son plus isolé ».
Deardarkhead arrive à faire du merveilleux à une température zéro, comme une fusion entre le gothique et le shoegaze. Logique lorsque Kevin Harrington fait la liste de tous ces groupes préférés : « J’aime penser que tout m’a influencé mais je pense que les plus importants sont Cocteau Twins, Kitchens of Distinction, The Church, Slowdive, Curve, The Chameleons, The Cure, Lush, Adorable, Jane’s Addiction, Catherine Wheel »[iv].
Le chant, soufflé et apprêté, se voit ôté de son caractère sensible pour se faire au contraire doucereux et dépourvu de fébrilité. Sur « Invisible », au refrain enchanteur, ou le lent et suave « Little Marinara », plus rien de rock engagé, mais au contraire l’état extatique d’un maniérisme luxueux et irréel. Un hommage à la Sainte Trilogie comme le reconnaitra Rob Weiss « Les inspirations les plus fortes qui m’ont poussé à fonder un groupe, c’est : 4AD Records, Creation Records, Factory Records »[v].


[i] Interview de Rob Weiss par Amber Rain, sur When the sun hits, 13 décembre 2011, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2011/12/interview-deardarkhead.html
[ii] Idem
[iii] Idem
[iv] Interview de Kevin Harrington par Amber Rain, op. cit.
[v] Interview de Rob Weiss par Amber Rain, op. cit.