31 mai 2009

Sugar Plant : After After Hours



After After Hours de Sugar Plant

Coup de coeur !
Sortie : 1996
Produit par Adam Lasus
Label : Pony Canyon/World Domination


Le monde, le vrai, le moderne, va vite, très vite. Absorbé par ce rythme infernal, on est ballotté du début à la fin, sans répit, d’un quai de métro à un passage piéton en passant par une rue de Tokyo complètement bondé ou un hall de banque. L’objectif des pas est toujours le même : c’est la routine qui impose la cadence. Il n’y a pas de but mais une rentabilité maximale. Parce que c’est comme ça. Parce qu’on l’exige. Et puis de toute façon la Terre tourne sans nous.
Mais on possède le pouvoir d’aller à contre-courant. De ralentir tout ça.
Faites l’expérience vous-même.
Tenez, par exemple, prenez un lecteur MP3, mettez le casque sur les oreilles et passez-vous la musique léthargique de Sugar Plant, l’effet est incroyable.
Tout prend une autre mesure ! C’est comme si les gens autour de nous s’afféraient à des vitesses supraluminiques, tandis que nous étions enfermés dans une bulle spatio-temporelle où tout serait ralenti. Enveloppé et protégé, on se love et on se calfeutre, car le dehors est trop violent. Plutôt que de cautionner, on vient trouver refuge dans le doux monde de Sugar Plant. En cela on a souvent dit que le groupe ressemblait à Galaxie 500, la grâce de Slowdive en plus.
Quoi de mieux dès lors que de se laisser emporter par la grâce suprême des délicats « I hate morning » ou « Here Rain Comes », au clavier très années 70, dissipant une ambiance lounge.
C’est bien simple à l’écoute du divin « Synapse » et ce chant si savoureux, si mélodieux, on sent que notre cœur se serre, qu’on se cramponne à ce qui reste de fondamental, le quotidien n’a plus d’importance, ces gens qui courent, ces voitures qui klaxonnent, ces écrans de pub qui clignotent et toute cette frénésie qui secoue ce Japon high-tech, ces chimères deviennent si insipides face à la réalité de cette musique.
Mais est-ce vraiment le cas ? Ou est-ce cette torpeur ambiante, comme sur « Drifting » ou « #4 », qui met en relief la fadeur des choses ? Peu importe, car l’essentiel est ailleurs, il est en nous : ces marées qui montent et déferlent pour contaminer l’ensemble de notre corps d’une douce chaleur apaisante. Un ravage d’émotions qui prend le pas sur tout.
Le très long « Behind the door », pourtant d’une paresse incroyable, distille une intensité sans pareille, il suffit juste d’un tout petit arpège tout mignon, de quelques « dadada » soufflée par Chinatsu, avant qu’une langoureuse guitare saturée ne vienne s’immiscer dans ce slow, pour l’achever dans une ondée de distorsions.
Il n’y a pas de dommages provoqués par cette musique, il n’y a aucune agressivité, bien au contraire, il n’y a pas de révolution, juste des berceuses, c’est juste que Sugar Plant met en exergue le fait que la beauté est là, mais qu’il faut du temps pour la conquérir.

30 mai 2009

Sugar Plant : Trance Mellow



Trance Mellow de Sugar Plant


Sortie : 1997
Produit par Shin'ichi Ogawa
Label : Pony Canyon/World Domination


Il fallait oser mais Sugar Plant n’a pas hésité. Allant encore plus loin dans la langueur jusqu’à atteindre la quintessence de leur style sur ce mini-album, le duo japonais s’offre même le luxe imparable de signer une chanson au piano de plus de vingt minutes ! Vingt minutes ne contenant presque rien d’autre qu’une montée de gamme sur cinq notes, suivi de sa descente, le tout réitéré inlassablement, étirant le moment sans s’arrêter et donnant l’impression de toucher l’infini. « Meadow » est une expérience véritablement entêtante, allant même jusqu’à créer un vertige.
Appréciant développer des climats extrêmement doux et apaisant, à base de trois fois rien, une batterie émoussée, quelques accords à la guitare grattée sporadiquement, une voix légère et angélique, celle de Chinatsu, Sugar Plant signe un recueil de berceuses.
Impossible de ne pas céder à la torpeur lorsqu’on écoute de tels morceaux, comme le profond et pourtant déliquescent « Trance Mellow », son orgue, ses arpèges de guitares joués à la vitesse d’une tortue, ses paroles susurrées qui laissent tant songeur…
Les claviers de « I was you » terminent une chanson, construite sur pas plus que deux accords, mais d’une irrésistible tendresse, tandis que les percussions, la guitare sèche, les échos féeriques et les samples de harpes confèrent un cachet presque magique à « Impure ». Le chant se fait constamment cajoleur, aérien mais tout de même très chaud, comme si Chinatsu souhaitait nous rassurer, nous caresser.
Des berceuses répétitives, simplistes mais d’une pureté à couper le souffle, qui s’égrènent et s’étalent pendant de longues, longues minutes, de manière à hypnotiser l’auditeur, qui n’a plus alors qu’à se laisser aller, fermer les paupières et s’évader dans des pays imaginaires.


Sugar Plant : Happy


Happy de Sugar Plant

Sortie : 1997
Produit par Shini'ichi Ogawa
Label : Wonder Release/World Domination


Tiens, un titre pour une fois optimiste pour un nouveau mini-album de Sugar Plant, c’est suffisamment rare pour le souligner. En effet, le duo japonais accepte enfin de laisser entrer un peu plus de lumière dans leur composition.
Et le résultat est encore plus sublime : les chansons gagnent en rondeur, en chaleur et en pureté. Beaucoup plus rythmées, comme le morceau éponyme « Happy », elles conservent tout de même cette épure qui fait tant le charme de Sugar Plant. L’instrumentalisation sera plus en avant mais la douceur sera toujours au rendez-vous. Tout respire la maturité et la plénitude.
Le superbe « Rise » poursuit l’opus avec son clavier vintage gorgé de magnificence et son groove tranquille, féerique et mélancolique. « Rainy Day » distille quant à lui une ambiance plus feutrée, plus proche du lounge ou du jazz-ambient, qui gagne au fur et à mesure en intensité. Il se fait en tout cas l’écrin idéal à la douce voix de Chinatsu.
Pour preuve de cette nouvelle lumière qui teinte les compositions de Sugar Plant, la guitare sèche et les violons sublimes de « Butterfly », qui démarre de manière brumeuse avant de s’ouvrir progressivement, à la manière des ailes d’un papillon.
C’est une musique à écouter lorsqu’on se sent mal. Une musique pour lendemain de rupture. Il cajole et console. On sèche ses larmes et on se laisse happer par cette lumière qui resplendit. Comme une cure de douceur.
Tout devient alors si évident : la beauté est là, devant nous, sous notre nez, et on avait failli passer à côté. La beauté, on ne la trouvera pas dans le monde, trop violent, trop agressif, trop urbain, on la dénichera alors dans la musique de Sugar Plant, celle-là même capable de nous faire vibrer tout en nous relaxant, et la seule du reste à le faire…

21 mai 2009

Windy and Carl : Drawing of Sound


Drawing of Sound de Windy & Carl

Sortie : 1996
Produit par Jay Kuehn
Label : Icon

En fait les chansons ne durent qu’une dizaine de minutes chacune mais ça pourrait durer des heures, avec toujours le même pouvoir d’enchantement.
C’est une musique parfaite pour entrer dans le sommeil : l’ambiance créée est vaporeuse, ne repose sur quasiment rien, hormis des effets de reverb de guitares, toujours merveilleuses et cajoleuses. Immensément feutrée, on s’y laisse couler facilement, puisque du reste il n’y a presque pas de batterie, pas de riffs de guitares, pas de lignes mélodiques complexes, pas de saute d’humeur ou de rythme enlevé. C’est paradoxal pour de la musique, sensée réveiller les sens, les mettre en alerte, mais ici, c’est l’inverse, les morceaux ambient signé Windy & Carl endorment.
L’écriture semble minimaliste : un même sample étiré sur une dizaine de minutes, et pourtant la musique de Windy & Carl est d’une richesse absolue : derrière ces chants vaporeux, doux et évanescent, ces drones féeriques, et ces saturations cotonneuses, se révèlent des notes mélodieuses complètement perdues et hagards, des clochettes qui scintillent ou des riffs tels qu’on les entendrait si on nageait dans les abysses des océans.
Windy & Carl représente l'étendue. Et tente de concilier deux choses a priori incompatible : le nombre fini de neurones dans un cerveau et le prolongement vers l’immensité. Mais à force de dépeindre toujours ces mêmes ambiances magnifiques, avec une lenteur et une insistance stupéfiante, on se prend à vagabonder, à se perdre dans les méandres de la somnolence et à ainsi faire baisser nombres de barrières pour finalement voir son esprit totalement apaisé.

Bailter Space : Vortura



Vortura de Bailter Space

Sortie : 1994
Produit par Paul Berry
Label : Flying Nun


Une définition de la musique de Bailter Space en un mot : densité.
Tout est concentré, compacté, serré. Difficile de retrouver dans ce gruau pop un minimum d’espace de légèreté. Cela ressemble à une agression par moment. Les rythmes indus et répétitifs assènent des coups à répétition, comme sur le terrifiant « Projects 1 », le distordu « I.C.Y » ou bien encore « Reactor », sorte de dub cacophonique très expérimental. Mais en réalité, c’est juste que la pression n’est jamais relâchée. La batterie enchaîne les coups sans faiblir, tandis que les guitares vombrissent. Et lorsque ce n’est pas des chants complètement effacés, c’est une voix déformée et robotique qui prend le relais pour rendre les choses plus ambiguës.
Car il est une chose sûre par contre, c’est qu’on ne sait pas si c’est du noise ou de la pop. Il est incroyable de constater à quel point les deux styles se mêlent et se confondent. Sans doute, cela explique pourquoi le son est si brut, si compressé ; c’est pour éviter de les distinguer l’un de l’autre. Bailter Space signe avec « Vortura » un album cohérent, qui navigue entre plusieurs tons, du plus innocent au plus accrocheur, tout en gardant une unité.
Si bien que des morceaux comme « Process Paid 2 », au-delà de l’instrumentalisation resserrée, présentent des aspects savoureux, flirtant avec la pop la plus légère, tout en glissant quelque fois des zébras noirs et des distorsions loin d’être gentillettes (« Voices »). Abrasif et écrasant, il faut bien se rendre à l’évidence, « N°2 » est pourtant une chanson extrêmement prenante, jouée avec suffisamment de détachement malgré sa lourdeur pour devenir un exemple rafraîchissant de pop adolescente.
Mais Bailter Space est loin d’être un groupe insouciant : les saturations et la surcharge sont là pour le rappeler. Le désir premier est de jouer fort, le plus fort possible, comme sur « Dark Blue », qui ne baisse jamais le ton ou sur « Shadow », au chant doux et léger, typique du shoegaze dont le groupe néo-zélandais s’est largement inspiré.
La froideur reprend alors ses droits, qu’elle a toujours eu d’ailleurs avec Bailter Space, en témoigne le bourdonnant et léthargique « Galaxy », stupéfiante démonstration de paresse écrasée sous une drone entêtant. Et que dire de la conclusion, « Control » avec son phrasé contestataire « This is our nature ! Take it all ! Take control ! », qui sera passé au mixer ?