31 juillet 2007

Fiche artiste de Lilys


Lilys

Lilys est avant tout le projet d'un seul homme, le génial et touche-à-tout Kurt Heasley.
Tantôt rendant hommage aux groupes anglais comme les Zombies ou les Beach Boys sur "Better can make your life better" ou "Three Ways", l'instant d'après revisitant l'indie rock de la décennie précédente comme les groupes de Manchester, la Brit-Pop ou la pop de Grandaddy, au cours des années 2000 ("Precollection" ou "Everything wrong is imaginary"), le tout entrecoupé de longues pauses d'où ne filtrent aucune nouvelle sur ses activités et sur les musiciens l'entourant, Lilys ne fait rien comme personne, et jamais au bon moment.
Aussi obscur que respecté, Kurt Heasley est un personnage à part dans le monde indépendant américain. Ses débuts dans un shoegaze maladif et dépressif sont incontournables.

Lilys : In the presence of nothing


In the presence of nothing de Lilys

Sortie : 1992
Produit par Kurt Heasley
Label : spinART / Slumberland


Quand bien même le son de Lilys à ses tout débuts pouvait fortement ressembler à la version masculine du Loveless de My Bloody Valentine (strates lourdes de guitares, morceaux expérimentaux, négligence poétique, colère rentrée), Kurt Heasley, son leader et cerveau avoué, se refusait à l’admettre.
Vite associé, à son corps défendant et avec une hypocrisie incroyable, à la vague shoegaze californienne du début des années 90, alors qu’il faisait partie du label Slumberland, tout autant que tous ces groupes (Swirlies, Henry’s Dress, Black Tambourine) à l’esprit lo-fi, ce songwriter décalé et à la furieuse envie démangeante de se démarquer, chercha alors à se distinguer le plus possible de cet album.
Passant le plus clair de sa carrière à revisiter, explorer, remettre au goût du jour, des courants oubliés (kautrock, dream-pop minimaliste, pop sixties, indie rock…), toujours à contre-temps, Kurt Heasley délaissa ce premier essai, qu’il jugea probablement trop facile. Pourtant, même s’il s’essaya de plus en plus à un style plus rond, plus optimiste et plus lumineux par la suite, rien ne fera oublier que In the presence of nothing représente malgré tout l’album qui synthétise le plus fidèlement peut-être son esprit.
Avec ces guitares bourdonnantes, ce son répétitif et entièrement saturé, sous lesquelles coulent une voix aussi douce que fantomatique et inaudible, on se rapproche au mieux de la finesse désespérée de son auteur. Car on a beau être littéralement bousculé par cette multiple épaisseur rembourrée de guitares et de distorsions, parfois très plombées, on distingue très clairement un certain laisser-aller, notamment dans les rapports avec le monde extérieur. Un détachement qui transparaît à l'écoute de ces voix qui abandonne tout effort de prise de position ou de ces chamallows électriques en couches superposées. Avec à chaque fois une envie d'emmener l'auditeur vers des ressentis étranges (comme l'intro de " There's No Such Thing As Black Orchids" ou la saturation lourde de "It Does Nothing For Me"). In the presence of nothing est la définition même du brouillage : brouillage sonore (les dix minutes expérimentales de " The Way Snowflakes Fall"), brouillage mélodique ("Collider"), brouillage du message (la pop-song au discours tendancieux, " Claire Hates Me"), et de manière générale, brouillage d'une aspiration à la beauté et à la contemplation.
Car ce premier opus permet surtout de se reposer et de se laisser écraser sous cette déferlante, qui refuse tout espoir, sans pour autant se complaire dans la platitude et l'abbatement.
Par la suite, Kurt Heasley essaiera de s'ouvrir, de jouer les caméléons, et l'on se demande si ce n'est pas sur cet album, où il en dit le moins, où il reste le plus abscon, que finalement il n'a pas été le plus sincère.

26 juillet 2007

Fiche artiste de Swervedriver


Swervedriver

Bien-sûr provenant du label Creation, tout le monde connait Oasis.

Mais bien avant ce génial groupe qui voulait "jouer aussi fort que les Who", il y avait une autre formation, née à Oxford, qui au début des années 90 jouait bien plus fort. Et ce groupe, c'est Swervedriver !





23 juillet 2007

Lilys : Eccsame the photon band


Eccsame the photon band de Lilys

Sortie : 1994
Produit par Kurt Heasley
Label : spinART


Avec Lilys, on plonge dans une ambiance très particulière, bizarre et troublante. Est-ce du à l'insuccès chronique et injuste de ce groupe de l'ombre ? A l'esthétisme arty du label spinART ? A l'austérité de son leader Kurt Heasley ? Toujours est-il que sa musique dégage une atmosphère vaporeuse, raffinée et un peu perdue.
Le groupe à géométrie variable se propose de mener un voyage dans l'expérimentation planante, en jouant une musique minimaliste, aérienne et envoûtante. La formation américaine s'inscrit dans le courant shoegaze mais en bout de course, une fois que le chronomètre est arrêté. Plus besoin de faire du tape-à-l'œil toutes guitares dehors comme sur le premier album, paru deux ans plus tôt, Lilys sait qu'il ne convaincra personne, surtout pas lui-même.
Les titres s'étirent, ponctués de plages sonores de quelques secondes et les voix se font souffles tranquilles alors que l'instrumentation entre rythmique molle et évaporation gazeuse, plonge dans une atmosphère particulière.
On n'y rentre d'ailleurs pas si facilement et on peut être vite désappointé mais dès qu'on est dedans, on n'a plus qu'à fermer les yeux.
Inclassables, hors du temps, intellectuelles, on navigue dans des sphères qui semblent être ceux d'un autre monde. Ce décalage déroutant met mal à l'aise. On ne sait si le ton est pessimiste ou non. On a l'impression que ça joue dans le vide, pour rien, ni pour personne. Une sorte d'enregistrement qui n'aurait aucune prise sur la réalité, puisque visitant des dimensions parallèles. C'est avec ce trouble phobique que le groupe entraînera l'auditeur dans un voyage inquiétant mais irrésistible sur des courants brumeux et trainards.
Maîtrisant aussi bien les chansons courtes expérimentales ("Kodiac (reprise)") que les longs étirements tendus et ébouriffants ("FBI and their toronto transmitters" et ses relents psychédéliques), Lilys joue avec l'art en le déformant, en le noircissant et en le retournant dans tous les sens pour. La voix de Kurt Ralske se fait soufflante, plus affirmée qu'auparavant, chaude, discrète et délicieusement tendancieuse.
Eccsame the photon band est un disque étrange qui intrigue à sa millième écoute comme à la première, par sa clarté mélodique ("Hubble"), ses pièges nonchalant ("Radiotricity" et son riff inquiétant) et la complexité sournoise de ses arrangements ("High writer at home" et ses guitares tremblotantes ou "Overlit canyon (the obscured wingtip memoir)"). La musique est dilatée à l'extrême, tordue en un Noeud de Moebius, subissant le ralentissement du tempo, pour prendre le temps de s'arrêter là où d'habitude bon nombre passent leur chemin. Décalé, ballotté, transporté, on cherche en vain la lumière au delà de ce rêve inconcevable.

20 juillet 2007

Lush : Spooky


Spooky de Lush

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Robin Guthrie
Label : 4AD


Sur Spooky (= "qui donne des frissons"), Miki Berenyi et Emma Anderson se sont muées en divinités enchanteresses déclamant des paroles inaudibles ressemblant plus à des vocalises irréelles et éthérées à l'écoute desquelles on peut traduire ce que l'on veut. La musique de Lush est devenue plus lente, plus rêveuse, plus mirifique aussi et par là même moins accessible.
Un univers soigné, dessiné d'entrée ("Stray") par un son de guitares luxuriant et une batterie ronde et froide, se met en place tandis qu'une voix magnifique, féerique et sublimement lyrique vient psalmodier des mots qu'on ne comprend pas mais qui font fondre en larme, et c'est tout nos sens qui se noient dans cette langueur vaporeuse.
Brumeuse, lente et pleine d'emphase raffinée, la musique de Lush met en scène une sorte d'apologie de la féerie, comme si le groupe montait une tragédie antique. Incroyablement froides, les chansons de Lush se laisse traîner vers la léthargie et la contemplation avec complaisance. Elles sont surtout l'occasion de mettre en avant les textes des filles, véritables anges et sorcières à la fois.
Avec des titres comme "Covert" et "Untogether", une texture sonore fouillée et travaillée par Robin Guthrie, une atmosphère élégiaque de cathédrale et de volupté, on accède à la magie pure, cristalline et inquantifiable. La pop y est préservée dans une bulle excentrique et mythologique. On nage en pleine fantasmagorie. Chacune des chansons est une propulsion vers le céleste que "Monochrome" achève dans une merveille nuageuse.
La lenteur est ici à son comble tout comme le raffinement. Les titres sont remplis de saturations atmosphériques, cotonneuses et vaporeuses et d'instruments dessinés comme des volutes complexes et étranges. Influencé par la dream-pop de This Mortal Coil ou de Cocteau Twins, le quatuor délivre sa vision très personnelle de la beauté. Quelque chose d'infiniment éthéré comme d'infiniment triste aussi.
Sublimée par la voix sylphidienne de Miki Berenyi et Emma Anderson, la musique de Lush est avant tout un hommage, difficilement accessible, mais authentique, à l'esthétisme gothique.
Un des albums phares du mouvement.

The Telescopes : The Telescopes


The TelescopesSortie : 1992
Produit par Guy Fixen
Label : Creation Records / Tristar


Ça y est, Stephen Lawrie est définitivement parti. Ailleurs. Sans doute loin de tout.
Complètement shooté, l'homme à la base des Telescopes s'évade au-delà de tout horizon. Ses chansons ne ressemblent plus à rien, non pas suite à une déstructuration, mais par l'absence même de structure, d'ossature pour être précis. Ces sortes de plages sonores sont comme molles, étirables, vaporeuses. Bien souvent les saturations sont bannies, remplacées par des larsens lointains, tandis que un piano, une cithare ou une guitare sèche viennent s'immiscer dans les mélodies (« The presence of your grace »), tout juste appuyées de ci, de là par une batterie lointaine ou des touches de tambourins hérités du psychédélisme sixties (« Splashdown »). Et encore, les mélodies prennent leur temps, sans se presser, et finissent par s'étendre sur la longueur, dans une paresse infinie.
Stephen Lawrie, à l'origine de toute cette atmosphère, ne chante quasiment plus, préférant murmurer ou souffler de sa douce voix. Ces râles tendres et légers traversent ces nuages mélancoliques, aidés en cela de temps en temps par le chant aérien de Joanna Doran. Cela peut parfois être somptueux comme avec « High on Fire », avec ses cithares, son tambourin, ses voix doublées qui arrivent par vague, son instant de répit à la guitare sèche, avant la lente et savoureuse montée en puissance se terminant dans un refrain lumineux. D’autres fois, c’est proche du radicalisme, comme avec « And », étrange et minimaliste. 

The Telescopes est sans doute très déroutant, long en bouche, mais c'est l'œuvre la plus méditative de Stephen Lawrie. « Yeah » a en cela un petit côté presque jazz. Et « Please tell mother » laisse énormément de place à l’espace. Préférant côtoyer le sublime et le méditatif, le leader du groupe fait découvrir une autre facette de sa personnalité, plus intimiste et plus porté sur l'évasion atmosphérique. D’ailleurs au cours de ces chansons, tout sera mou, nonchalant, céleste, alangui.

12 juillet 2007

Swervedriver : Raise


Raise de Swervedriver

Indispensable !

Sortie : 1991
Produit par Alan Moulder
Label : Creation


Pas de temps mort, rien. Du fuzz tout le temps, puis des riffs surpuissants, jamais joués deux fois de suite, et de temps en temps une voix, complètement shootée. Ensuite on part direction l'espace.
Il faut avoir le cœur solide pour s'accrocher à un tempo pareil, sans pause, ni ralentissement. La surcharge en mélodies de guitares, groove de la basse, effets de saturations, est propre à faire chavirer. Impossible de tout retenir en une fois. D'ailleurs on cède vite les commandes. Vaut mieux ne pas chercher à comprendre. Le rock shoegaze de Swervedriver, ça se vit, ça se ressent. Complètement allumés, ces quatre zigotos, adeptes d'un psychédélisme surpuissant, jouent comme s'ils allaient mourir demain.
Contrairement à la plupart des groupes de shoegaze ayant une approche plus évasive, le groupe se détache en donnant à son rock psychédélique une force obsédante grâce notamment à un rythme effréné. Les compositions rapides et teigneuses d'un côté et plus posées de l'autre s'enchaînent, tout en formant un ensemble homogène, et ce malgré le son particulièrement crade, mais qui n'est pas sans ajouter un charme indéniable à l'ensemble. On a l'impression d'être écroulé sous une vague de batterie en furie, de riffs mortels et de guitares de plomb, qui ne s'arrêtent jamais.
Swervedriver n'a pas son pareil pour assener des titres rallongés, jamais basiques, qui installent une transe hypnotique tout en imposant un mur du son énorme. La bande de mauvais coucheurs rassemblés autour du chanteur Adam Franklin, superpose les riffs, les mélodies noyés dans un amoncellement d'effets de pédales, de saturations et de fuzz, le tout sous une rythmique qui ne relâche à aucun moment la pression.
Du premier single "Song For A Mustang Ford", au génial "Sandblasted" en passant par "Deep Seat", absolument envoûtant, cette avalanche d'hymnes tubuesques laisse K.O. En cette année, pour l'Angleterre, ce fut le choc. Un tremblement de terre sous forme de chef-d'oeuvre.
Swervedriver imbrique des mélodies imparables souvent décuplées au maximum, à une dynamique speedée, le tout noyé sous des couches électriques, hypnotiques, aliénantes mais surtout galvanisantes. Le chant léger et aérien sur "Sunset" est détonnant par rapport à l'allure à laquelle les choses sont jouées. L'effet captivant de "Lead Me Where You Dare" est magistral. Rien n'est à jeter sur ce sommet de saturations et de puissance, un poème d'amour pour les guitares. Car là où bon nombre de groupes s'appuient sur un riff, le quatuor anglais, vilain petit canard du mouvement shoegaze, en poursuit mille sur ce premier album flamboyant.
Avec ses accords intouchables, sa faculté à transformer sa pop planante en titres roboratifs et frénétiques et sa qualité d'écriture stupéfiante, Swervedriver symbolise toute la fougue et l'incandescence dont un jeune groupe insouciant est capable.
Violent, complètement barré mais aussi trippant, cet essai est une bombe sonique qu'on n'a pas vu arriver et dont les dommages se ressentent encore chez tous ceux qui l'ont écouté.

Swervedriver : Mezcal Head


Mezcal Head de Swervedriver

Sortie : 1993
Produit par Alan Moulder
Label : A&M


Après un changement de line-up, Adam Franklin et Jimmy Hartridge restant le noyau dur, auquel s’est joint le batteur Jez Hindmarsh, la formation anglaise revient plus forte que jamais.
Pourtant les nombreuses tournées aux Etats-Unis en 1992 faillirent être fatale au groupe. Concerts éreintant avec Soundgarden et Monster Magnet, une avalanche de drogue et surtout les nombreuses défections, tout s’amoncelait pour aboutir à une séparation pure et simple. Mais voilà que Swervedriver revient, surtout aux Etats-Unis, avec un single (« Duel »), classé « single of the week », et leur plus grand succès à ce jour, morceau monstrueux, fort et musclé.
Visiblement, le groupe passe aux choses sérieuses. Le ton s’est durci, les guitares se révèlent rutilantes, chromées, et les riffs sonnent comme de grosses machines qui détruisent tout sur leur passage, tant leur efficacité n’est plus à démontrer aujourd’hui. Beaucoup plus lourd et agressif que leur premier essai, toutes guitares dehors, tout en restant pop dans l'esprit, Mezcal Head est un brûlot nerveux et endiablé.
Aucun répit n'est autorisé. On a parfois du mal à se retrouver dans cette déferlante, ça sonne de tous les côtés et les chansons se ressemblent beaucoup, mais là n'est pas le propos puisque le but est de donner le tournis à partir de saturations, de riffs bien sentis, de coupures (légères) de rythme, de passages psyché.
Mezcal Head est un vrai tourbillon : « Harry & Maggy » ou encore « You find it everywhere », il y a largement de quoi être transporté par cette déferlante.
Cependant les efforts pour sonner de plus en plus puissant desservent parfois les intérêts du groupe. Même si on ne peut rien retirer de la qualité des chansons, certaines souffrent d’une trop envie de plaire et de polir le son de Swervedriver, à l’instar de « Blowin’ Cool » ou « Girl in a motorbike », difficiles à digérer.
Mezcal Head est le plus grand succès du groupe, de par ces riffs efficaces, mais quelques esprits chagrins ont regretté certaines lourdeurs, témoins d’une tentative de se rapprocher du son existant aux Etat-Unis.
Cet album est aussi l’occasion de s’adonner à des thèmes, bien superficiels, chers aux groupes : les belles voitures (« Duel » est un hommage au film de Spielberg), le soleil du Mexique (on surnomma vite le groupe « Los Swerlies ») et bien évidemment les drogues.
Et c’est finalement bien là le principal : jamais un groupe n’avait sonné aussi fort, aussi électrique, pour servir au mieux une vision particulièrement vibrante du psychédélisme. Les nappes s’additionnent, la cadence est toujours soutenue, ça part constamment en vrille, jusqu’à perdre la tête. Assommant, cet album est aussi l’occasion parfaite pour s’adonner aux vices de l’évasion.
C’est également sur cet album que le groupe s’autorisera les plus improbables délires, sans peur de la suffisance pompière. A noter surtout ces étendues de nappes de guitares, qui étirent certains morceaux sur de longues minutes psychédéliques. Ainsi « Last train to Satansville » est une véritable démonstration de maîtrise et de talent. Swervedriver ose tout, comme fusionner deux chansons entre elles et s’offrir une bonne dose d’expérimentation, avec un saxo complètement perdu devant ces grosses guitares sur « Never lose that feeling / Never learn ». Et également d’incroyables délices pop, cachées sous ces mille-feuilles de guitares vombrissantes, grattées à mille à l’heure. La plus significative démonstration de ce talent hors norme pour l’écriture est sans conteste « Duress », point d’orgue de l’album, la seule chanson en fait à être jouée sur un tempo ralenti, montée en puissance planante avec percussions et tambourins, qui se laisse peu à peu, sous les effets de l’ecstasy, envahir par les guitares et les effets wah-wah. Un pur moment de rêve délicieux, étalée sur plus de huit minutes jusqu’à s’oublier et planer complètement.
Album le plus reconnu du groupe, Mezcal Head demeure toujours, à ce jour, très sympathique, malgré ses faiblesses, et se fait le compagnon idéal pour de longues chevauchées. Vers où ? Même le groupe l’ignore. Mais il ne fait aucun doute que ce serait au volant d’une Ford Mustang, avec Mezcal Head à fond dans l’autoradio.

6 juillet 2007

Fiche artiste de The Veldt


The Veldt

The Veldt a été sans doute victime des préjugés. Dans le monde du rock, il s’agit de rentrer dans des cases, et dès lors que l’on ne correspond plus à ce qui est conforme, on devient une énigme.
Formé en 1986 par les frères jumeaux Daniel et Danny Chavis, rejoints par le batteur Martin Levi deux ans plus tard, le groupe vient de Chapell Hill, une toute petite ville de Caroline du Nord. Non seulement le groupe fut rapidement associé à la scène de l’époque, avec Polvo ou Superchunk, pratiquant un punk lo-fi sauvage, alors qu’il n’avait rien à voir avec ce style, mais en plus on les rangea vite dans la catégorie de « black band ».
Certes, la majorité des membres de The Veldt sont blacks, mais les frères Chavis ont toujours détesté être comparé à Living Coulour ou Fishbone, formations qu’ils respectaient énormément mais dont ils se sentaient peu d’affinité. « On a ouvert pour Jesus and Mary Chain à Toronto à The Masonic Lodge. Certaines personnes dans le public nous appelaient Living Colour entre chaque chanson. Je leur ai dit de sucer ma bite »[a]. Ce qu’ils regrettaient surtout, c’est que personne ne se focalisait réellement sur leur musique. Ils seront d’ailleurs baladés de labels en labels, personne n’arrivant à comprendre qui ils sont et ce qu’ils veulent. Un gars de A&R leur a même demandé de prendre un blanc comme bassiste. « On a été obligé de sortir pour échafauder de quoi lui faire comprendre ce qu’on faisait. On a découpé des photos dans les magazines des groupes qui nous influençaient. ‘’oui, on est black, mais vous pouvez comprendre ce qu’on dit ? vous pouvez arrêter de vous focaliser sur nos gueules ?’’ »[b].

Eux, n’en font qu’à leur tête et souhaitent proposer une musique personnelle, noisy et rêveuse, résultats des goûts de Daniel pour Jimmi Hendrix et de Danny pour les groupes anglais, dont Echo and The Bunnymen, AR Kane ou My Bloody Valentine. « Tout le monde nous disait constamment qu’on s’y prenait mal et qu’on brassait trop de styles. Mais, pour une raison inconnue, on s’est senti différents et on n’en a pas tenu compte. On a suivi notre instinct, ce qu’on aimait écouter et ce qui nous motivait à avancer »[c].
Ce mélange particulier entre dream pop et soul music est étonnant mais incontestablement une réussite, notamment lorsque le groupe américain se livre à quelques fantaisies (chanteuse de soul invitée, refrain funky, interludes ressemblant à des jingles de radio etc ...). On notera également la participation de Robin Guthrie ou Lincoln Song de Moose. « Notre album a un certain côté raffiné qui s’est parfois retourné contre nous, surtout de la part de ceux qui sont branchés, mordus du rock alternatif, mais j’en ai rien à cirer de ces gens-là »[d] affirme avec aplomb Dany.
On retrouve une langueur inimitable digne des plus belles heures de la musique black seventies : « La sensualité a toujours eu une grande place dans la musique avec la soul ou des influences comme Marvin Gaye, Curtis Mayfield et The DelPhonics. Dans notre musique, ça rend les choses plus authentiques et moins prévisible. Liz Frazer de Cocteau Twins ont leur lot de soul, tout comme Dead Can Dance et AR Kane. Ils ont leur propre sensualité si vous allez par là »[e]. Si ce style les place comme une curiosité shoegaze à ne pas manquer, cela les a particulièrement entravés.
« Les gens déboulaient et nous disait qu’on essayait de sonner comme quelque chose qu’on n’était pas, juste pour frimer. Mais on faisait ça naturellement. La communauté black a toujours joué du rock, on l’a même inventé »[f]. Leur style n’avait rien à voir avec ce qui se faisait aux Etats-Unis à l’époque, surtout à Chapell Hill, qui abritait une scène lo-fi et rock (Superchunk, Polvo). The Veldt avait tout pour passer pour une incongruité musicale. « Chapell Hill est une sorte de communauté. Si tu ne sonnes pas comme eux, ils ne veulent pas que tu en fasses parti »[g] reconnait Danny Chavis. The Veldt fut donc vite exclu, et ne dépassa pas le cercle de quelques initiés.


[a] Interview de Danny Chavis sur Anon Magazine, 24 mars 2016, [en ligne] http://anonmagazine.com/two-decades-in-the-making-an-interview-with-the-veldt/
[b] Danny Chavis cité par Mike Doherty, sur The Guardian, 5 février 2016, [en ligne] https://www.theguardian.com/music/2016/feb/05/the-veldt-chavis-brothers-apollo-heights-shoegazer-soul-music
[c] Interview de Daniel Chavis par Judy Lyon, sur Stereo Embers, avril 2016, [en ligne] http://stereoembersmagazine.com/pioneering-vision-interview-veldt/
[d] Daniel Chavis cité par James Doolittle, sur Daily Collegian, 18 mars 1994, [en ligne] http://www.collegian.psu.edu/arts_and_entertainment/article_9a304fa3-41dd-5380-b3ea-f4ad4fe7ac1f.html
[e] Interview de Danny Chavis par Patrice Vibert, sur Le Champs Sonore, 10 décembre 2016, [en ligne] http://lechampsonore.fr/2016/12/interview-the-veldt-english-version/
[f] Daniel Chavis cité par James Doolittle, op. cit.
[g] Idem


4 juillet 2007

The Veldt : Marigolds


Marigolds de The Veldt

Sortie : 1992
Produit par Lincoln Fog
Label : Stardog Records


Le premier maxi de The Veldt est l'occasion de découvrir les débuts tâtonnants du groupe. Affectionnant les délires cosmiques, effrénés et saturés d'effets, parfois abusifs encore et mal assurés, The Veldt livrait déjà ici des curiosités. Le son est bien pesant, les riffs percutant, comme sur "She Stoops To Conquer", les distorsions agressives et la rythmique implacable, presque sombre, à l'instar de la basse de "Tinsel Town". Mais on retrouve aussi une envie folle d'en découdre avec un psychédélisme féerique. Que ce soit au niveau de la pochette, toujours aussi kitch chez le groupe, au niveau des arrangements, apportant une couleur magique à des morceaux, qui pourtant démarrait lourdement, comme sur le très bon "Pleasure Toy", ou aux mélodies incandescentes, le sens de la pop n'est jamais laissé à l'abandon.
Pour l'instant, le groupe n'a pas trouvé encore son style propre, évoluant soit dans une musique entêtante, soit euphorisante. Ainsi "CCCP" ressemble à du Chapterhouse.
Mais là où The Veldt se détache des autres groupes du mouvement shoegazing, c'est dans leur groove inimitable, insufflé par les frères black que sont Daniel Chavis et Danny Chavis, qu'on perçoit dans le chant ou au cours des jungles servis en interlude, sorte de mix radio funk et soul. Style génial qu'on allait surtout retrouver sur l'excellent album Afrodisiac, sorti deux ans plus tard.
Et là où le groupe se détache aussi, c'est surtout dans sa capacité à faire preuve d'un réel talent pour enchanter et servir de purs joyaux délicieux : "Willow Tree" est ainsi une des plus belles chansons jamais écrite, et reste, malgré sa simplicité d'écriture, une des plus évocatrice du mouvement shoegazing. L'intensité du chant de Daniel Chavis, la douceur de début, les saturations de fin, les mélodies cristallines, tout y est, et l'ensemble fait tout simplement rêver.

The Veldt : Afrodisiac


Afrodisiac de The Veldt

Coup de coeur !

Sortie : 1994
Produit par Ray Shulman
Label : Mercury

The Veldt figure parmi les oubliés du mouvement shoegaze. Déjà qu'à la base, les groupes de ce mouvement qui associait mélodies et saturations bruitistes, n'étaient pas très connus, on imagine sans peine dans quelques tréfonds de l'histoire se terre la discographie de cette formation américaine.
La faute à qui ? Au mauvais sort ? A l'impopularité de ce style musical ? Au fait que ses membres étaient essentiellement noirs, une curiosité pour un groupe de rock ?
Peu importe, cet opus de The Veldt mérite qu'on lui rende hommage. Afrodisiac, sortis en 1994, est sans doute ce qui restera comme la meilleure réussite du groupe, notamment grâce à son esprit funk attachant et original.
Ça commence par un échange amoureux et mielleux sur fond de vieux vinyle et de groove magistral avant de s'ouvrir sur un morceau qui tue, toute guitares dehors et morgue sur le bord des lèvres ("It's Over") avant d'achever l'auditeur sur le single "Soul In The Jar" (repris en bonus track par Jesus and Mary Chain eux-mêmes, qui, rappelons-le, ne sont ni plus ni moins que les parrains du shoegaze).
On se remet difficilement de la claque subite sur cet album tant le son décoiffant s'associe à merveille à ce qui s'apparente à un talent miraculeux. Aucune chanson ne marque la moindre baisse de créativité. Tout est parfait ici, du rythme incroyable ("You Take The Word"), aux saturations tourbillonnantes ("Dusty Blood") en passant par les petits interludes de quelques secondes.
Bien sûr, ce qui domine ce sont les chansons nerveuses, sorte de pop-song lumineuses portées par un déluge de gros son, d'arrangements synthétiques et de guitares furibondes ("Revolutionary Sister" ou le renversant "Juicy Sandwitch"), absolument irrésistibles grâce à leurs très nombreuses mélodies accrocheuses. Mais là où le groupe se démarque, c'est par son style inimitable qui s'approprie les recettes du shoegazing pour en faire quelque chose de bien personnel. Les frères Chavis ont su insuffler un groove particulier dans leur façon de jouer, rendant les chansons quelques peu lancinantes et funky. Cela se ressent dans le rythme, très chaloupée (cf : la basse sur "Until You're Forever"), ou dans la voix incroyable de Daniel Chavis, marquée par ses origines black.
Ce mélange particulier entre dream pop et soul music est étonnant mais incontestablement une réussite, notamment lorsque le groupe américain se livre à quelques fantaisies (chanteuse de soul invitée, refrain funky, interludes ressemblant à des jingles de radio etc ...).
Construisant une texture sonore très condensée, parfois lourde, sur lequel va venir se poser un chant habité et accrocheur, le groupe fait planer très loin sur des déferlantes de guitares impressionnantes qui ont l'air d'être beaucoup plus imposantes que ce que le ton pop du morceau laisserait supposer ("Wanna Be Were You Are" ou "Last Call", avec ses éclairs ahurissants). Beaucoup plus mature, uni, soudé que les précédents singles, Afrodisiac sonne comme un tout, cohérent, passionnant et formidable de panache. Un morceau comme "Hearther", long moment vaporeux tout en saturation de sept minutes au cours duquel vient s'immiscer un saxo fantomatique est un vrai tour de force.
Autrement, The Veldt règne également en maître sur des terrains plus calmes, plus langoureux où la voix suave et caressante de Daniel Chavis fait des ravages. "Juicy Sandwich" ou "Daisy Chain" (sommet langoureux) sont de purs bonheurs de dérapages vaporeux, rêveurs et sexy, renforcés par une saturation sans fin et un mur du son exquis. Les effets très riches sont là pour faire rêver et ajouter une touche de féerie à un ensemble pourtant énergique. La dernière chanson "I Couldn't Care Less", est un pur voyage de rêve, slow magnifique ou berceuse onirique, au choix, qui se termine dans les nappes incontrôlées de saturations électriques.
Ce groupe n'a de cesse de se rendre attachant au fil de l'album, tant il est original sans oublier d'être accessible. Si bien que son oubli est vécu comme une injustice. Afrodisiac apparaît aujourd'hui comme une curiosité qu'il ne faut pas mépriser. Ne serait-ce que pour se rendre compte de l'immense influence de ce mouvement sur la mouvance actuelle.