27 mars 2014

Miss Bliss : Miss Bliss

Miss Bliss

Date : 1996
Produit par Jason Kuehn
Label : Meltdown

Aux débuts de Miss Bliss, le groupe se cherchait encore, tâtonnant et explorant divers angles d'approche, pour aboutir au mieux à leurs envies de rêve et d'évasion. Côté musicien, c'est d'ailleurs une vraie salade, les membres apparaissant au grès des besoins dans les studios pour deux sessions d'enregistrement, une en décembre 1993, l'autre à l'été 1994. Au grès des chansons, ils s'échangent leur place ! Un coup le guitariste devient bassiste et vice-versa, un autre, on prend subitement le micro le temps d'une chanson, quant aux batteurs, ils seront deux à se succéder. 
Bringuebalant et hasardeux, cet album n'est que le reflet de ses débuts erratiques. La plupart du temps, Miss Bliss veut se lancer à l'assaut de l'imagination pour l'emmener sur des territoires cosmiques assez lointain, en tout cas dans le space-rock, à défaut de sortir du système solaire. "Pinwheel" est splendide à ce titre, avec son arpège cristallin noyé sous les saturations, ou l'instrumental "Above", où les guitares se perdent dans un embrouillamini de mélodies. D'ailleurs, "3 Spacemen", avec son orgue entêtante, sa voix fatiguée, son rythme indolent, se veut un pastiche du groupe culte de Rugby.
Mais à d'autres instants, Miss Bliss se love dans une musique plus douce et innocente, comme avec "Walk on by" et ses guitares sèches, tambourins et autres guitares byrdsiennes. "Shine" remue comme une balle élastique et "Swing" se fait langoureux. Cependant, on a du mal à retenir l'unité de tout ceci. Hormis les voix douces tout du long, le positionnement est fluctuant. 
Heureusement, cet essai, dont certains titres auront le droit à une remixage, contient déjà quelques perles comme l’envoûtant "Coming in waves". Comme son nom l'indique, il s'agit d'une mélodie qui tourne en boucle, basée sur une petite guitare et surtout une basse profonde, tandis que des vagues de saturations déboulent à intervalles régulières. Magique et fascinant. Un des plus beaux morceaux shoegaze.
Un peu perdu cependant au milieu de ce premier opus inégal. Qui sera que l'avant-goût des albums suivants, bien plus assurés et réussis.

14 mars 2014

Schroeder : Moonboy

Moonboy de Schroeder

Sortie : 1994
Produit par Charlie Hill
Label : Zowie Records


Larry DiMaio était un dingue de l’Angleterre, fasciné par ce qu’il se passait là-bas, les boites de nuit, les raves, la dream-pop sous ecstasy. Bien qu’originaire d’un quartier pauvre, situé à quelques kilomètres de New-York, où les labels cherchaient le nouveau Nirvana, et n’ayant jamais réussi vraiment à percer, il était convaincu de pouvoir faire bouger les foules et de les faire rêver. Avec le titre « Heavenly », certainement son meilleur morceau, avec ses rythmes accélérés, ses ‘aaaaah’ langoureux, son ton un poil précieux, il livre là un shoegaze féerique passé au mixer, avec un refrain magnifique, plein de force et de vie. Larry chante avec ferveur, conviction, comme s’il exhortait les gens à danser jusqu’au bout de la nuit. 
Avec lui, tout peut aller vite, très vite. Le rythme est surmultiplié. Il subsiste pourtant une sorte de magie incroyable : cette espèce de frénésie dans les guitares s’allie parfaitement avec le ton féerique qui évoque Ride, The Veldt ou les Stones Roses (« Too Beautiful » ou « Jewel » et ses saturations en forme de décollage d’avion). Il n’y a aucun temps morts sur ces morceaux et les instruments forment alors un tout, un vrai mur du son dévastateur. On sent l’ivresse nous gagner. D’ailleurs, Schroeder l’a bien compris puisque le groupe joue sur cet enivrement. Les guitares s’additionnent sans retenue pour sonner comme dans un tourbillon. Appuyée par une basse qui joue un rôle fondamental dans le maintien de la cohérence, malgré les déferlantes saturées qui arrivent successivement sans s’arrêter une seule seconde, le rythme sonne et donne le tournis ("Sweeter than you"). Ça fuse, ça boome, ça fracasse tout, pourtant, tout ceci pour aboutir, comme sur « Metdown » à une musique onirique à souhait.
Le groupe met tout ce qu’il a dans les tripes pour au final aboutir à des nappes délicates de saturations, aux voies douces, doublées et à l’esprit dream-pop, dont il se réclamait (« Head » ou bien le grandiose « Vitamine Purple »). Le guitariste Nick DiMaria rappelle : « Bien que Larry et Ersk (leur génial batteur) étaient convaincus qu’on allait devenir des phénomènes, je pense que Michael (le bassiste) et moi on aimait juste faire du bruit. Larry cependant visait toujours juste, notre musique savait se faire irréelle. C’était ce qui nous rendait attractifs. »[i] Car au-delà de créer une ambiance digne de Madchester, l’homme cherche à se libérer et à exprimer ses propres ressentis.
Et là, on touche à autre chose, une musique décalée, peu en phase avec ses contemporains américains (et on le leur fera bien savoir). Cette fougue n’est pas si innocente, elle cache en réalité des failles et des fragilités, qui transparaissent lorsque le tempo ralentit pour une longue ballade aux voix soufflées (superbes « Blue » ou "Head"). Ou sur des plages oniriques ("Waste of time"). Nick reconnait que le groupe était en réalité affecté : « J’imagine que nos concerts devaient être très différents des shows punk ou des festivals hippies auxquels les gens se rendaient. On n’a jamais réussi à s’intégrer dans un des camps qui prévalait à l’époque. On jouait des chansons maniérés mais de manière très bruyante et avec suffisamment de colère durant nos live pour que le public y réponde. Cette colère devait probablement venir de différentes casseroles qu’on se traînait tous en dehors du groupe. Je me souviens aussi que Larry était très très chaud entre chaque chanson durant nos performances. »[ii] Cette ambivalence entre l’aigreur rentrée, le désir de s’évader dans le rythme effréné et ce goût pour l’onirisme, va aboutir à des titres de la trempe du divin « Mod Revolve ». Un morceau au début calme et atmosphérique, avant de devenir plus rayonnant avec les claviers et enfin plus ardent avec les saturations. Ou encore le long "Blue", émouvant et grandiloquent. Fantastique.


[i] Nick DiMaria cité par Hangnail Phillips, 1 septembre 2013, [en ligne] http://hangnailphillips.com/?p=389
[ii] Idem

The Rosemarys : The Rosemarys

The Rosemarys

Sortie : 1994
Production : Kevin Moloney
Label : Fox Records

Avec ses pochettes d'influences psychédélique, Tim Ong tourne (pour un temps) le dos à la mélancolie et l'auto-apitoiement. Les titres seront ostensiblement plus pop et donc, de fait, plus accessibles. 
Les chants se feront même plus suaves, avec ce petit souffle qui se veut sexy, comme si l'homme qu'on connaissait torturé, souhaitait aller au contact de l'auditeur ("Dizzy Girl", moite et velouté). Le groupe jouera d'ailleurs davantage sur les effets de guitare pour créer un climat flottant et/ou précautionneux. 
On obtient des chansons sympathiques, au refrain prenant, suffisamment cool et subversives pour évoquer les belles heures du Flower Power ("Catherine"), avec tambourins, batterie calme, saturations à peine . Ou même avec des guitares rageuses au milieu des claviers à consonance indienne ("Higher").
D'autres dériveront vers l'abstraction pure (le contemplatif "Sparkle" et l'intervention de Sonya Waters, la chanteuse de Orange), voire l'apathie (le très lent "Katherine", proche du slowcore).
Parfois cela a du mal à décoller. Ces plages reposées manqueront du pathos qu'on avait lors du premier album et se contenteront d'être de beaux moments apaisés, sans avoir la force, ni la percussion nécessaire pour marquer profondément l'auditeur dans son être, comme Tim Ong avait su le faire auparavant.
Cet album est donc le négatif du premier. Peut-être plus humble et plus sincère, mais obligatoirement moins tragique.