28 avril 2010

Spirtualized : Lazer Guided Melodies


Lazer Guided Melodies de Spiritualized

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Barry Clemson
Label : Dedicated

Appliquant sur son premier album une formule basique, saturations-claviers-rythmique, Jason Pierce restait pourtant très évasif, se laissait noyer sous son propre flot instrumental, étirait les morceaux sur de longues minutes, faisait appel à des distorsions crispantes. Le petit gimmick caressé à la guitare de « If I were with her now » se verra complété par différentes textures, de la guitare sèche, au riff remplis de fuzz, pour maintenir une sorte d’orchestration symphonique uniquement composée de guitares (avec un peu de saxo tout de même). Le chant reste en retrait, légèrement voilé, pour ne pas prendre la place, et va même s’effacer sur la fin.
Il n’y aura pas de mur du son destiné à écraser ou impressionner, mais plutôt à offrir de vraies ballades magiques, à la limite de l’improvisation, laissant de la place pour d’autres influences (le défouloir que représente « Smiles »). « Je suis inspiré par le noise et le freejazz bien sûr, mais aussi la folk, la soul et la musique psychédélique. J’ai toujours voulu faire de la musique qui couvrirait tous ces champs à la fois, sans que ce soit du copié-collé et que ça paraisse une fusion artificielle, mais plutôt que je réussisse à en capturer l’essence, ce qui est bien souvent dans sa plus basique forme. Ce n’est pas le nombre de notes ou d’instruments qui compte, car il semblerait qu’on peut avoir encore plus de force avec moins d’informations »[i]. « You know it’s true » ou « Step into the breeze » et ses violons prennent presque des aspects de berceuses de l’espace. Si cette voix de Jason Pierce est si suave, ce n'est uniquement pour caresser, mais tout simplement parce que ce dernier est complètement défoncé.
Même les guitares semblent elle-même être de cet état, entre sommeil et ivresse, vaguement salies et saturées, cotonneuses et subtilement délicates. Tout du long, s'ajoutent des percussions, des choeurs doublés aussi discrets que formidables, des orgues, des longues plages d’ambient, des échos de toute sorte, des crescendo qui en fait ne décollent jamais (« Angel Sigh »). C'est un premier essai, brouillon comme embrouillé finalement, ceci dit, on succombe devant l'incroyable évocation de cet album. « Run » évoque le space rock et le kautrock qui s’accoquinent dangereusement avec le shoegaze. On est à la limite de l’ambient avec « Sway ». Une fragile alliance entre feedback langoureux et accords minimalistes qui conduit à l’onirisme. On sera toujours proche de la torpeur, un peu comme sur la chanson de fin, « 200 bars », où une femme inconnue fait le compte. « Je voulais ce genre de sensations comme lorsqu’on vous fait une anesthésie et qu’on vous demande de compter à l’envers. Il vous suffit d’arriver à dix pour que vous soyez complétement parti. J’aime bien l’idée de faire ça. Bien qu’avec 200 bars, vous pouvez compter jusqu’à 200 et toujours être dedans. »[ii]
La fusion des frontières étant le propre du shoegaze, on retrouve jusque dans la structure de l’album cette idée de mélange, puisqu’il n’y aura pas de pistes pour autant de chansons, mais en réalité quatre longues plages sonores qui correspondent à autant de face du vinyle. Un manque de balise tout à fait assumé : « Quand j’étais avec mon ancien groupe, on était déjà intéressé par cette idée d’album-concept, parce que je ne connaissais personne qui écoutait en boucle la même chanson. Quand vous êtes assis confortablement à la maison pour écouter un album, ça demande trop d’effort pour déplacer l’aiguille du lecteur vinyle sur la même plage. Je ne connaissais que des gens qui écoutaient la face entière d’un album, alors s’il y a un concept à tirer de ça, ce serait que les choses doivent être écoutées dans leur globalité. »[iii]
L’effet provoqué par cet album, comme le shoegaze en général, est de déstabiliser l’auditeur et de l’envelopper dans une douce lumière, pour qu’il flotte au milieu de ses propres sensations, comme sur « Take you time » : « Je pense que la meilleure musique émane de ces moments quand on perd le contrôle et moins on contrôle les choses, meilleure est la musique. Il faut savoir se mettre en danger pour se dépasser. »[iv] Ce qui sera évidemment incompatible avec un quelconque succès. L’œuvre de Jason Pierce ne s’accompagnera jamais de ventes pharamineuses, alors que dès Lazer Guilded Melodies, et encore davantage par la suite, il n’aura eu de cesse d’écrire des morceaux parfaitement enchanteurs. Mais le côté commercial n’a jamais été son intérêt. Jason assume : « Mes chansons ne sont pas faites pour la radio et on refuse toute compromission pour que ça y passe. On ne fait pas de singles dans le sens commercial du terme. »[v] Ce shoegaze tranquille et nonchalant peut paraître au contraire très transgressif. Il sera presque jusqu’au-boutiste. Jason Pierce tente de se justifier : « Les gens disent tout le temps que Spiritualized c’est la pop qui rencontre l’avant-garde, mais c’est juste une étiquette bien trop petite. Nos disques sont radicaux par contraste, parce que personne d’autres n’est comme nous. Personne n’essaye de trouver d’autres chemins pour faire ressentir des choses au travers la musique. Ceci étant dit, ce n’est pas comme si nous étions des intellectuels, comme si on faisait de l’expérimental. J’adore juste la musique, j’adore l’effet que ça a sur nous. Mon propos n’a rien à voir avec le fait de vendre des disques, ça n’a rien à voir avec le côté commercial. »[vi] Son objectif, c’est que les gens connaissent un autre état lorsqu’ils écoutent Spiritualized, qu’ils ouvrent leurs esprits et qu’ils accèdent à un autre monde.


[i] Interview de Jason Pierce par Mark Dale, sur Skiddle, 14 août 2015, [en ligne] http://www.skiddle.com/news/all/Spiritualized-Electric-Phoneline-/26123/
[ii] Jason Pierce cité par Hans Morgenstern, sur Goldmine Magazine, octobre 1997, [en ligne] https://indieethos.wordpress.com/2010/07/29/from-the-archives-spiritualized-profile-part-1-of-2/
[iii] Interview de Jason Pierce par Darren Gawle, sur D-drop Magazine, 22 septembre 1997, [en ligne] http://dropd.com/issue/82/Spiritualized/
[iv] Interview de Jason Pierce par Gildas, sur Pop news, 19 novembre 2003, [en ligne] http://www.popnews.com/popnews/spiritualizeditw/
[v] Jason Pierce cité par Hans Morgenstern, op. cit.
[vi] Interview de Jason Pierce (et Bobbie Gillepsie de Primal Scream) par James Oldman, sur NME, 20 décembre 1997, [en ligne] http://www.theprimalscream.com/press/nme-27dec97.html