28 octobre 2008

Fiche artiste de Seely



Seely

Ce groupe originaire d’Atlanta est la première signature américaine du label Too Pure. Ce rapprochement est venu lorsque le label londonien cherchait à étendre ses contacts en Amérique, notamment pour trouver des partenaires de diffusion. Après avoir placé Stereolab et Th' Faith Healers chez Elektra ainsi que Moonshake chez Matador à la suite d’un concert à New-York qui fut complet, Paul Cox, co-fondateur de Too Pure, demande alors à Nick West de s’établir à Los Angeles.
C’est lui qui récupéra des démos du groupe, envoyés d’abord à Londres et qui furent un premier temps rejetées. Il leur propose alors de faire d’abord un premier album au sein d’un label local à Atlanta.
« Parantha See » sort en 1994 sur Southern Music. La formation, essentiellement rassemblée autour du duo Steven Satterfield et Lori Scacco, en envoie une copie à Nick. Ce dernier, enchanté, transmet à Paul Cox, qui juge alors que partir pour les rencontrer pouvait valoir le coup. Le contact se passe bien, le groupe étant motivé. Désireux de les aider à grandir et à se développer, il leur propose de rééditer leur premier album, qui sortira en 1996, sous le nom de « Julie Only ».  Ils sont donc retournés en studio, pendant moins de dix jours, le temps qu’il leur fallait pour polir leur son et y ajouter tambourins, xylophones ou claviers, de manière très discrète. Des petites astuces distillées par John McEntire, membre de Tortoise passé à la production. Lori Scacco, la chanteuse du groupe, garde, malgré l’urgence, un excellent souvenir : « Enregistrer Julie Only à Chicago avec John McEntire fut une expérience formidable. On était de grands fans de Tortoise et ils n’arrêtaient pas de faire des allers et venues dans le studio. C’était pour eux et leurs amis, une sorte de QG, et il y avait de bonnes variations. Je me souviens avoir beaucoup regardé de vidéos de skate board »[i]. L’album évoque My Bloody Valentine, Pram ou Stereolab.

Le groupe part ensuite en tournée, notamment avec Trans Am ou Gus Gus, puis sort un deuxième album l’année suivante, « Seconds », avant de quitter Too Pure.
Peu à peu, Seely dérive vers l’electro, un peu à la manière de Hood ou Laïka, ce qui s’en ressentira avec leur dernier album, « Winter Birds », paru en 2000 sur Koch Records.
La formation se sépare tout de suite après. Mais Lori Scacco n'en gardera que des bons souvenirs : « J’ai adoré vivre à Atlanta. On était une petite communauté de musiciens très soudée, et chacun faisait quelque chose de différent et de nouveau. C’en était à un point où j’allais voir les groupes jouer en concert tous les week-ends. C’était inspirant et fun »[i] explique-t-elle.


[i] Interview de Lori Scacco par Kenji Terada, sur Koen Café, [en ligne] http://loriscacco.com/Interview-1
[i] Interview de Lori Scacco par Yasuhiko Fukuzono, sur Foundland, [en ligne] http://loriscacco.com/Interview-1

Seely : Julie Only



Julie Only de SeelySortie : 1996
Produit par John Mc Entire
Label : Too Pure


La musique est alanguie, tranquille et sans violence. Les guitares sèches, souvent utilisées, apportent une touche chaude aux chansons, de par leur retrait et leurs cordes fébrilement caressées. Il ne subsiste plus alors que l’élégance d’un chant langoureux, invoquant l’esprit du shoegazing, légèrement atone, mais d’un onirisme mielleux, que ce soit celui de Steven Satterfield ou Lori Scacco. Des guitares délicates, des chants bulleux et une batterie rassurante par son application. Singer la précipitation sans avoir le cœur pour tout saccager serait inutile, alors Seely fait dans le calme (« Crystal Clara »). Des titres boisés (« Sealskin »), ou délicats (« Shine »), qui à peine laissent les guitares se charger d’électricité, comme par excitation toute passionnelle (le superbe « Bitsa Jane »). Ils témoignent d’un enclin à privilégier la légèreté qui accompagne les berceuses. Les xylophones (« Bubble Bath »), tambourins ou les sons acoustiques ont donc le droit de cité ici.

L’album gagne en sérénité, mais également en tristesse, dérivant et stagnant dans une retraite vaporeuse qui ferme la porte à l’optimisme mais assure une protection lénifiante et éternelle face à la violence ordinaire. A titre d’exemple, le sublime « Bugles », avec sa voix laconique, son tambourin, ses guitares acoustiques et surtout son rythme syncopée à la batterie, évoque curieusement le groupe californien Swell. Feutrés, tout en gardant du piquant (« Exploring the planets »), les chansons de ce premier opus, sans surprise, délient une monotonie érigée au rang d’art. Parmi celles de fin, la combinaison « Wind & Would » (et ses arpèges éreintés magnifiques proches de sommets poignants) et « Inside » (et son slide trippant) égalent les plus pures déclamations d’égarement. Elles terminent en tout cas l’album sur une rêverie somptueuse.

24 octobre 2008

Seely : Seconds


Seconds de Seely

Sortie : 1997
Produit par Scott Herren et Steve Askew
Label : Too Pure

Récupérant un domaine abandonné par Stereolab, le groupe américain va aussitôt livrer une musique planante et assez hype, en usant de techniques synthétiques à la mode.
Mais au lieu de se contenter d’inclure des bidouillages électroniques, histoire d’être branché, Seely continuera à souffler un climat chaut, doux et lisse, en incluant des sonorités chatouillantes ou recouvrantes.
Arrondissant ou polissant les saccades des guitares électriques, les claviers ou samples, discrets et cohérents avec les chansons, viendront se fondre avec les compositions. Qu’elles soient électriques (« Soft City ») ou plus lentes (« The Sandpiper »), elles distillent toujours de quoi poser délicatement un univers contemporains mais qui reste poétique. Des tapis de voix légères ou de riffs doucement déclamés sur une rythmique toujours lente et vaporeuse, se déploient pour un accueil chaleureux mais bizarre. A l’instar de l’instrumental « The Hourglass » (et ses plaintes tristes à la guitare), les chansons de Seely choisissent des moyens synthétiques, tout en restant flottant, difficilement tangibles. Cotonneux comme aiguisé, cet album utilise des procédés habituellement déstabilisant (clavier cheap, nappes de saturations) pour les détourner et réciter des propos lénifiants, proche de l’évanescence jazzy ou lounge.
Les voix masculines et féminines, d’une divine douceur, dialoguent, parfois à l’unisson, parfois en décalage, sans perdre de leur intrigante complicité. Il n’y a pas de brutalité chez Seely. Cependant les textures sonores forment une palette difficilement identifiable : le groupe se revendique autant de la finesse avant-gardiste que de l’extase dream-pop.
Le groove ralentit qui en résulte est un écrin à multiples couches, où aucun instrument ne cherche à prendre le dessus, mais où chacun apporte sa petite touche de glamour, de lenteur ou de légèreté (« Syballine », le clavier de « Like White »).
Seely n’est absolument pas un groupe expérimental, ce qui ne l’empêche pas de visiter des zones de la pop peu habituelle, territoire où celle-ci se fait plus ondulante, se dérobant plus facilement.

19 octobre 2008

Difference Engine : Breadmaker



Breadmaker de Difference Engine


Sortie : 1994
Produit par Will Russel
Label : Caroline


Derrière ce flot de guitares, toujours finement travaillé, se cache une propension au laconisme. Pas de façon éclatante, ni même reconnue, mais plutôt de manière latente, embryonnaire, traces que l’on devine à peine dans cette façon de céder devant les mélodies. Difference Engine refuse de les porter vers le haut, le groupe baisse les bras et autorise les déclins, les humeurs, les mollesses.
Drapée d’attente, refusant de s’opposer à un mur du son qui s’abat de temps en temps sur elle, la musique de la formation de Rhode Iland, peut parfois glisser vers une description de l’abandon (le réveur « Tsunami » et les doux murmures de Margie, inquiétant et troublant), un état de lucidité extrême qui renverse les rapports de force et donne de l’espace aux sens.
Ceux-ci se déploient alors lentement, à coup de quelques cordes grattées divinement (les sept minutes élégiaques de « Flat »), de basse rondelette et profonde (« 5 Listens »), de chants abattus, mais incroyablement doux (le superbe « And Never Pull »). Ils ne prennent pas le pouvoir, ils n’en ont pas l’ambition, ils se contentent de s’exposer outrageusement comme des lambeaux abîmés de tendresse, d’anciens espoirs évanouis ou de mélancolie. Rien ne s’élève, ne se rebelle, mais le tout compose un ensemble délicieux de climats indolents mais gracieux, souvent très étrange et en décalage.
Appliqué dans son étalage, le groupe prend bien soin de composer des chansons au sein desquelles les auteurs eux-mêmes semblent s’oublier. Face au spleen ambiant, la raison s’avoue vaincu. C’est donc une beauté dénuée d’intérêt, non corrompue, qui se livre alors. Les montées en puissance (le tortueux et intense « Bugpowder ») prennent une résonance tout autre. Difference Engine détourne la suavité de ses compositions pour dresser un parcours alambiqué, sublimant le caractère cafardeux qui imprègne l’ensemble.
Démarrant dans l’instrumentation incisive, l’album glisse vers la déliquescence, pour se conclure sur une litanie noire et rêveuse, parcourue de vagues instrumentales qui noient le tout, sans jamais le ramener vers le rivage. La musique de Difference Engine n’a aucune envie de rejoindre la lumière. Elle préfère naviguer en eaux troubles, sans choisir, sans décréter de son état émotionnel, refusant de trancher, car trancher serait déjà annuler et pervertir ces émotions.
Réflexion, soulagement face à l’abandon, misère matérielle, aspiration étouffée, ce rassemblement emmène la contemplation vers un état où la paresse devient fascinante : on y trouverait presque du réconfort dans autant de froideur.

All Natural Lemon and Lime Flavors : Turning Into Small


Turning Into Small de All Natural Lemon and Lime Flavors

Sortie : 1997
Produit par Pete Murphy
Label : Gern Blandsten

La frontière entre le merveilleux et l’étrange est souvent floue, et All Natural Lemon and Lime Flavors a l’habitude de traîner dans ces zones là.
Dissipé et agrémenté de claviers, l’album avance en miroitant des reflets intriguant, des échos de voix, des touches féeriques, des douceurs vocales incompréhensibles, des climats lounges et cosmiques à la fois. On flotte et fluctue sur le magnifique « You can’t never tell », avec clavier de film fantastique, basse angoissante et déluge de guitare. Les instruments dérapent comme des extra-terrestres un peu bizarroïdes (« Your imagination ») à la manière d’un dub lancinant de l’espace. Ou se font le support d’une poésie dont on ne sait si elle est à dominante féminine ou cybernétique (« Snowflake Eye »).
Alors qu’on pourrait se reposer à l’écoute d’une plage aérienne, des accrochages, des virements viennent toujours perturber l’équilibre pour y insérer une dose de variables, d’inconnus, de troubles qui apportent tout leur charme. L’ensemble se drape de féerie bien souvent, mais une féerie bancale, difficilement appréhendable au premier abord, car composé d’ajouts incongrus, artificiels. Que ce soit le rythme indus et techno (« Puzzle into pieces ») ou l’ambiance rumba (« Emergency Turn Off »), chaque pièce insérée provoque le renversement de ces temps paisibles savamment composés et qui surprennent à chaque fois.
Le deuxième album des américains, beaucoup plus maîtrisé et cohérent, reste tout de même suffisamment original pour posséder son propre univers personnel, notamment grâce à la prise en compte des claviers dans la construction de ces couches sonores, guitares saturées plus voix suaves et laconiques. Il en fait clairement un groupe à part, intéressant et intriguant, dans le monde du shoegaze.
Bien que regorgeant de surprises vouées à faire planer, le caractère premier de l’album reste tout de même son incroyable fluidité, mélangeant guitare et synthé jusqu’à ne plus les distinguer l’un de l’autre.