25 février 2010

The Brian Jonestown Massacre : Methodrone



Methodrone de The Brian Jonestown Massacre

Indispensable !

Sortie : 1995
Produit par Naut Human et Dave Deresinski
Label : Boomp!

Excellent comme carrément pourris selon la bonne disposition de ses auteurs, ce premier essai peut même parfois cumuler les deux. Car la folie d'Anton est de ne rien retenir de ce qu'il peut ressentir à l'instant. Du coup, ça sort comme ça, dru et sec. C'est tellement embrouillé dans sa tête, si contradictoire, que les chansons en prennent alors la forme. Parfois il faut attendre un long moment avant de voir jaillir de distorsions interminables un riff entêtant et purement génial, répétitif et addictif, comme sur « Crushed ». Résolument cradingue, le grain grossier et la pédale wah-wah de « Wasted », manifestent très bien le peu de soin qui fut accordé à la qualité de la production. Le chant reste encore mi-concerné, mi-plaintif, se superposant à la lenteur maladive du morceau. De plus, les guitares qui s’emballent dans la saturation, la basse de folie, l’esprit qui rappelle les orgies sixties ou le garage rock, les tonnes d’effets, dépeignent une ambiance sous forte influence psychotrope.
Les morceaux traduisent l'esprit dantesque qui pouvait régner en studio, la confusion, les trips hallucinants et l'envie de toujours planer. Rien qu'à l'oreille, on peut deviner la composition sanguine de ces musiciens, shootés comme jamais et qui se livrent avec délectation dans des exercices de hautes voltiges. Le tempo est pataud, langoureux, tout en conservant un son de guitare particulier, archi bourré de fuzz, et de distorsions, dans la lignée de certains groupes psychédéliques. Le trip sera tel que ces garnements oseront même transformer cette nonchalance en moment de grâce.
Anton signe là, d’emblée et sans réfléchir, des riffs géniaux, immédiatement prenant, et leur répétition ne fait que renforcer cet attrait. Que ce soit sur « Wisdom » à la magnifique intro, à la basse, fantastique, mystique et prenante, déjà culte, ou sur « That girl suicide » qui possède ce petit groove sixties, ces motifs répétés à l’envie, dont ne décroche pas, avec ces montées de fièvres saturées et ces « houhouhou » idiots mais prenant, il n’y a rien à jeter, on touche au pur génie, et on se demande comment ces chansons ont pu être écrite dans de telles conditions. Du chaos, de la folie, de l’envie de tout foutre en l’air, on arrive malgré tout à obtenir des petits bouts d’éternité, à écouter en boucle, avec une intensité inouïe, proche de la perfection. Ce n’est plus un album, c’est une expérience.
Andrew chante calmement, en soufflant, en lâchant des râles de mecs défoncés, avant que le crescendo se fasse, jusqu’à la jouissance pleinement assumée. Cet album est clairement à teneur sexuelle. C’est froid, c’est sensuel, c’est sexy et c’est puissant. Il suffit d’écouter, ne serait-ce qu’une fois « Evergreen », sommet de grâce absolue, avec cette bande passée à l’envers, ce duo féminin et masculin, ce sempiternel riff répété et ce ton doucereux, avant de s’évanouir sur des « aaaaah » de contentement et de béatitude hédoniste, pour être sous le charme. Les riffs sont accrocheurs et persistent dans la tête. Ou écouter « Everyone Says », le meilleur morceau peut-être ? Avec cette voix féminine toute douce et légère, complété par celle d’Anton, ce riff qui monte, qui monte, qui s’incruste dans la tête avant d’y rester éternellement, avant d’exploser comme l’effet d’un shoot, crescendo qui aboutit à un état extatique. A moins que la meilleure chanson ne soit « She made me », cette indolence, cette façon de prendre les choses par-dessus la jambe et pourtant de signer là une chanson cultisime, cette langueur qui fait tout. Morceau génial, morceau parfait à lui tout seul. Morceau pour rêver et planer. Partir loin en tout cas. Mais difficile de retenir un sommet dans cet album, chaque merveille semble en amener une autre, véritable bloc d’émotions, composées de bouts de guitares, mal produit de surcroît.
Manifestement, le groupe était plutôt occupé à naviguer dans des trips existentiels qui les dégageaient de toute responsabilité vis-à-vis d'un rendu de son correct, sinon potable. Si bien qu’il n’y a aucune volonté de rentrer dans les codes clairs de la pop édulcorée. Avec le Brian Jonestown Massacre, ce sera sale, revival, psyché et sulfureux.
A l’image du superbe et stupéfiant « Hyperventilation », qui évoque tant Loop et les Spacemen 3, plus obscur et plus difficile d’accès, et au cours de laquelle le groupe se lâche complètement sur près de dix minutes, jusqu’à la répétition acharnée et martelée, entrecoupée de saturations éclairs et de quelques incantations mystiques. Anton est fou, on en a ici la preuve, plus rien n’a de tenu, plus rien n’a de corps, plus rien n’est solide, on se contente de laisser les choses se faire.
D’ailleurs, les musiciens sont complètement ailleurs, on n’a plus le droit qu’à des instrumentaux bizarroïdes, faite de dissonances et d’échos, de distorsions éperdues, de bordel sonore sans nom et sans but, véritables hallucinations collectives. Pourtant, à l’intérieur, coincé entre deux souffrances, se cache une merveille, témoin d’une beauté mirifique au milieu de la nonchalance propre aux jeunes défoncés. « I love you » est un classique, un hymne, une merveille de langueur psychotrope. Une petite mélodie entêtante qui revient et insiste l’air de rien, au xylophone, pour planter le décor, que la guitare maintiendra discrètement. Ça se répète à l’infini, aucune variation, le but n’est pas là, le but est de faire planer : quelques coups de caisses plus lourdes, viendront se mêler à quelques coups de tambourins pour une dialogue paresseux mais cosmique. Quant aux chants, on n’a rarement fait plus doucereux : une simple déclaration d’amour sera le credo tout le long, prononcé avec une voix refusant de faire le moindre effort et sonnant de manière totalement sucrée.
Il ne restera plus rien après ça, hormis une longue descente. Car après l’extase et le trip, c’est la désillusion avec ces morceaux obscurs et abscons, faits de bruits inquiétant et dissonant.
Le ton sera moins à la fête et annonceront d’ailleurs l’apocalypse. Déjà, on sent la tempête venir. Le final sera monumental : d’abord noir, traînard, lourd, ensuite majestueux et d’un psychédélisme époustouflant. « She’s gone » est le morceau anthologique qui fait passer ce très bon album dans une autre dimension, éminemment mystique et culte. Les échos de cuivres funéraires, les réminiscences orientales, les saturations qui s’ajoutent progressivement, la voix chevrotante, le tempo hypnotique, tout y est, on est en plein dedans, on nage en plein trip, on vibre et on ne décroche plus.
Heureusement le trip se prolonge : une chanson cachée à la beauté absolue, mélange de distorsions folles et de suavité tout en retenue, permet de prolonger un plaisir qu’on souhaiterait prolongé pour toujours…

17 février 2010

Fiche artiste de Teenage Filmstars



Teenage Filmstars

On ne sait pas, entre Alan Mc Gee et Ed Ball, qui était le dealer de l’autre, mais une chose est sûre, les deux ont été de toutes les aventures, notamment celle du label Creation Records.
Ayant fondé le groupe culte Television Personalities avec Dan Treacy et Jody Foster (deux amis de la fac), qu’il quitte en 1982, à cause des sautes d’humeur de son leader, Ed Ball traverse alors toute la décennie 80 sous en signant bon nombre d’album sous le nom The Time. Participant au maintien de la scène du quartier de Camden à Londres, il ne se cantonnera jamais à un seul style, piochant à droite à gauche, avec toujours un côté psychédélique, voire flirtant avec l’electro en vogue.
Il arrête le tout en 1985 pour devenir un des manager du label Creation Records, mais Alan Mc Gee le pousse à continuer à publier des albums. Encouragés par l’arrivée de l’ecstasy, nouvelle drogue à la mode, Ed Ball se lance alors dans la mode baggy, en vogue à l’époque, avec des albums comme « E for Edward » (alors que tout le monde savait que c’était « E for Ecstasy ») et son hymne culte, « Manchester », hommage vibrant et jouissif à la déferlante Madchester. The Times continuera à enregistrer durant toute la décennie suivante.
Mais au début des années 90, Ed Ball découvre « Loveless » de My Bloody Valentine. Alan Mc Gee abjure l’album, qui lui aura dilapidé tout son budget, mais Ed Ball est fasciné. A son tour, il veut proposer sa vision du psychédélisme saturé. Il réactive alors son vieux projet « Teenage Filmstars », qu’il avait autrefois monté à la fin des années 70 avec ses compères de Television Personalities, invite des musiciens aussi shootés que lui, s’enferme dans les studios, et publie alors deux albums consécutifs, saturées, distordues, expérimentaux. Vision très ludique du shoegazing. En tout cas exaltante.

9 février 2010

Teenage Filmstars : Lift Off Mit Der Teenage Filmstars



Lift Off Mit Der Teenage Filmstars aka Star

Sortie : 1992
Produit par Ed Ball
Label : Creation

OK, soyons clair, tout le monde connaît Kevin Shield mais personne ne connaît Ed Ball. Pourtant ce dernier est considéré par Kevin Shield lui-même comme une « sensibilité venue d’une autre planète ».
On le voit à la pochette de l’album, Ed Ball pratique résolument une musique psychédélique. En fait, il va même plus loin, il transforme des guitares en matière psychédélique, en substance hallucinogène, en cristaux d’amphet saturées et électriques à forte dose. A l’époque, la drogue à la mode, c’est l’ecstasy, et cet album est un hommage entier à l’ecstasy. Complètement euphorique et bizarroïde, l’ambiance délurée concilie mur du son distordu et dérapage constant, le tout pour une production volontairement déficiente : comment gérer tant de dingues dans le même studio ?
De toutes manières, d’emblée, on en prend plein la gueule avec un riff passé au fer rouge, sur l’étonnant « Kiss Me », couvert de saturations, de fuzz et de réverb en boucle, riff qui, il faut le dire, est absolument génial, répétant sans cesse le même motif accrocheur comme une vague. « Loving » est basé sur les rythmes africains, avant d’y additionner de manière jouissive des guitares tranchantes et acérés, ainsi que des samples de chants langoureux, mystérieux et sexy. On dirait un mélange parfait entre My Bloody Valentine et Primal Scream. On retrouve du reste cet esprit lancinant sur « Inner Space », morceau ambient, sorte de vague étendue et flottante, gribouillis d’une réalité qui a peine à se dessiner. « Apple » est un véritable sommet, gorgé d’effet écho, de distorsions perdues, d’accords à la guitare sèche, de fantômes de voix qu’on distingue à peine, pour une contemplation éperdue des effets psychotropes. « Flashes » reprend un sample rythmique de Loveless avant de se lancer dans une vague baggy et dansante, parsemée de chants arabisant et tangentiels. « Kaleidoscope » est un broyage de guitares, de rythme indus, de voix, le tout dans un esprit lo-fi.
Le groupe enchaîne quelques accords à la guitare, enregistrés et passés en boucle,s avant de bousiller tout ça et d'y inclure une boite à rythme bidon sur lequel une voix trafiquée vient fredonner quelques paroles hallucinées, le tout passé sous un mixer. On assiste à une révélation d'un maelström à couper le souffle, saturations, loops, fuzz, distorsions et samples. Il n'y a rien de vraiment cohérent dans tout ça. Ce sont juste des moments de délires ou de grâce qui sont collés bout à bout, sans logique, pour créer un album complètement rapiécé. Un assemblage de distorsions à la sauvage, où les couches fusionnent les unes aux autres, parfois se chevauchent, dérapent, quittent leur ligne mélodique pour se porter vers le défouloir expérimental. Avec des ajouts qui n'ont rien à voir mais qui vont emmener l’album au fur et à mesure vers des passages abscons et répétitifs, « Vibrations » par exemple, qui se réitère à l’infini jusqu’à provoquer l’hypnose, ou encore le dur « Soulful », basé sur le bruit du vent, quelques touches cosmiques ainsi que des extraits d’enregistrement, pendant près de huit minutes assez spéciales. L’album s’étire au détriment de sa capacité à captiver et perd peut-être de son souffle. Pour finir, derrière les distorsions assourdissantes de « Moon », on va trouver un clavier complètement kitch, une orgue digne des hippies sixties absolument génial
En fait, là où My Bloody Valentine voulait aboutir à quelque chose de parfait, d’esthétique et de carré, Ed Ball veut tout foutre en l’air, mettre un bordel sans nom et toujours opter pour la déviance. Heureusement le label Creation (Alan Mc Gee était un grand ami de Ed Ball) laisse une totale liberté d’action. Il faut prendre cet album comme un témoignage, un hommage, un vestige d’une époque aujourd’hui révolue, qui souhaitait refaire la révolution, revivre éternellement le Summer of Love, se gargariser de trips sonores.

5 février 2010

Fiche artiste de Sweet Jesus


Sweet Jesus

A l'heure où les groupes sortent un album tous les trois ans, Sweet Jesus préférait sortir de trois singles en un an seulement, devenant sur la foi de quelques chansons seulement, "one to watch" par l'ensemble de la presse anglaise.
Le groupe donnera lui-même la définition de leur propre style : "Nous sommes plus Madonna que Mega City Four. Nous sommes l'arrogance même et le glamour. Nous aimons Phil Spector pour son mur du son et les Ronnettes pour leur eyeliner". Accompagnant de ce fait la nouvelle vague glam en Angleterre, de par leur look bisaroïde, mélange de goth et de strass à la Marc Bolan, le groupe de Birmingham ne connu malheureusement pas la même carrière que Suede, la fin du label Rough Trade mettant un terme au groupe.
Leurs singles furent pourtant remarqués par pas mal de magasines, notamment le NME ou Volume, et par les célèbres animateurs de la BBC Radio 5, Mark and Lard, qui passaient leurs chansons en boucle dans leur émission "Hit the North Show".
Car Sweet Jesus c'est aussi et surtout Ben Bentley, le chanteur à la voix de fille, à la personnalité attachante et au sens de la provocation inimitable. Ce côté tape-à-l'oeil, kitch et exagéré, est le propre du groupe, noyant son discours subversif dans un mix tourbillonnant à la sauce My Bloody Valentine en boite de nuit. Pour faire simple, le groupe ne parle quasiment que de sexe. Ben Bentley le reconnait lui-même : "Je pense que si on ne pouvait plus faire l'amour, il vaudrait mieux être mort de toutes façons. Et je pense que plus on fait l'amour, plus ça devient interessant. Il faudrait que le gouvernement organise des stages de pratique avec des godes ou des machines".
Au delà de l'attitude volontier choquante, Ben Bentley se situant au top de l'arrogance, le groupe en profite surtout pour distiller un certain mal-être. Car mine de rien, les sujets abordés abordent quelques tabous. "Nous voulons cultiver notre côté mystérieux, pas le diminuer". Car en réalité, Ben Bentley se remet à peine d'une période trouble lorsqu'il était à l'Université d'Architecture, remplie de drogues, de fêtes et de pas mal de mauvais trips. "J'ai probablement été un peu traumatisé mais je m'en suis remis. Je veux tirer un trait sur tout ce bordel. Sans pour autant transformer cela en truc larmoyant. Je ne vends pas de la tristesse. Je cherche juste à dépasser ça.". Une rédemption qui passe par la pop.
Le fait que Sweet Jesus n'ait jamais pu continuer au delà de son époustouflante série de singles demeure une injustice. Ceci dit, Ben Bentley rebondira avec son groupe Venus, sans connaître pourtant le succès, lui qui avait pourtant tout pour une îcone du rock.

Sweet Jesus : Phonefreak Honey EP



Phonefreak Honey de Sweet Jesus

Sortie : 1992
Produit par Ray Schulman et Dave Morris
Label : Rough Trade

Ce premier EP vaut essentiellement pour son single, le turbulent et merveilleux « Phonefreak Honey », qui fut nommé «single of the week » par le Melody Maker en 1992.
Au milieu de ces déluges de guitare et ce tempo frénétique se distingue nettement un chant qui sort du lot, celui de l’inénarrable Ben Bentley, insolent et narquois. Avec un affront des plus jouissif, celui-ci jouera à fond de sa voix fluette pour en faire une voix quasi-féminine. On a souvent parlé d’un croisement entre l’esprit glam (le chanteur étant fan de Marc Bolan) et de My Bloody Valentine, et à l’écoute de ce premier tube, on comprend pourquoi.
Ajoutant au glamour, Ben Bentley se fera doucereux, langoureux, jusqu’à souffler des « dadada » absolument divin de provocation. La basse est ici très présente, c’est elle qui donne le tempo enlevé de la chanson, même si ce sont surtout les brouillages magiques de guitares qui prennent le devant de la scène. Sous ce rythme entraînant et cette allure de nonchalance tape-à-l’œil, on se laisse vite gagner par le décalage de cette formation anglaise.
La face-b « Peach », excellente aussi, vaut le détour. Quelque part entre les déluges shoegaze, le chant vole haut dans les aigus et la douceur, avant de se faire totalement effacé par des guitares folles et assommantes. Proche de l’évasion, les chansons de Sweet Jesus revêtent des apparats sexy comme jamais il n’y en a eu dans le mouvement. Rempli d’allusions à la drogue ou au sexe, les titres du groupe brillent par leur morgue et leur sens du décalage.
Le tempo n’arrête pas, le mur du son non plus, s’additionnant de plus belle, comme sur le très fugace « Baby Blue », empilement de guitares, de la plus lourde à la plus crispante, pour une envolée pop tonitruante. Dommage que tout cela soit bien trop court…

Sweet Jesus : Real Babe EP



Real Babe de Sweet Jesus

Sortie : 1992
Produit par Ray Schulman
Label : Rough Trade

Quelle indélicatesse que de tirer un trait sur de pareils groupes ! Car Sweet Jesus était capable de sortir des singles imparables en l’espace de quelques mois seulement. De quoi faire pâlir bons nombres de groupes actuels. Flamboyantes, lascives, les chansons qui figurent sur cet EP sont de vraies pilules de bonheur.Il est d’ailleurs étonnant de voir jusqu'à quel degré de préciosité, on a pu monter. Sweet Jesus en joue et s'en délecte. Entraînant ses titres dans d’évanescentes odes suaves et précieuses, dans lesquelles se glisse une sacrée dose d'irrévérence. Que ce soit dans la voix moite et androgyne de Ben Bentlet, dans les rythmes qui font penser au monde des boîtes de nuits anglaises ("Sindy makes believe") ou dans les guitares saturées en plein, on retrouve toujours cette flamboyance de têtes brûlées qui caractérise si bien Sweet Jesus. Cela semble leur convenir tout à fait et ils démontrent leur sens du raffinement suspect et tendancieux avec talent. "Real Babe" ou "Sindy makes believe" sont suffisamment énergiques pour entraîner l'auditeur dans des pistes dansantes et euphorisantes. Et leur sens de l'affectation sublime les accroches comme sur "Oceana", à laquelle on ne peut s'opposer tant tout ici semble indiquer que la recette euphorie – glamour marche à merveille. Quant à cette voix de fausset qui souffle et susurre avec une exagération incroyable, elle donne un charme fou aux morceaux, la note qui place Sweet Jesus à part.
En fait, quand on écoute ces chansons dont la formule est tout compte fait simple (mélodie accrocheuse surplombée par des saturations grésillantes et lumineuses), on se rend compte que Sweet Jesus fait preuve de beaucoup de sensualité. Je corrige : c’est la définition même de la sensualité.

Sweet Jesus : Albino Ballerina EP



Albino Ballerina de Sweet Jesus

Sortie : 1992
Produit par John Rivers
Label : Chapter 22

Sweet Jesus est avant tout un groupe sexy, très glam, sirupeux et un peu psychédélique. Le magnifique morceau d'ouverture "Albino Ballerina", probablement la meilleure chanson de ce groupe éphémère, est un concentré de saturations à faire tourner les têtes, où vient s'immiscer une voix maniérée et magique. Tout de suite, on s'envole dans un univers tout en étoiles et en strass.La musique de Sweet Jesus se pavane et s'enjolive d'atouts clinquants (rythme dansant et tourbillonnant, saturations frénétiques, voix haut perchée etc....) mais jamais elle ne flirte l'emphase pompeuse. Une réelle dynamique s'instaure, classe et clinquante, mais avec un certain charme lorsqu'elle sert des chansons superbement écrites comme le titre "Baby loves me", dont il existe deux versions (l’intro à la basse de la version originale fait étrangement penser à « I am one » des Smashing Pumpkins !). On distingue tout de même toujours une tendance pour l'impertinence et l'audace qui habille bien ces petites bombes soniques. Leur fâcheuse tendance à en faire des tonnes mais jamais inutilement, ajoute des dimensions à leurs morceaux, vite rangées au statut de mini-tubes provocateurs et glam au possible.
Par-dessus les guitares saturées et ce tempo à cent à l’heure, le chant de Ben Bentley s’élève dans les aigus, avec ce petit hoquet inimitable, à écouter et à écouter encore, sans jamais s’en lasser. Pas étonnant du coup que « Albino Ballerina » fut considéré par Mark Radcliff du magasine New Musical Express comme son single de l’année 1992. Rien que ça !

3 février 2010

Manson's Child : Coffee Shop


Coffee Shop de Manson's Child

Sortie : 1997
Produit par Didier Houbre
Label : Aliénor


Progressivement Manson's Child trouve son style et cela lui sied plutôt bien. Largement influencé par Stereolab, ce premier album livre un certains nombres de chansons addictives. Si Manson's Child n'avait pas souhaité se détourner sciemment du côté commercial de la musique pop, on aurait clairement parlé de tubes !

Mais on reste bien dans le monde indépendant, avec toujours ce petit quelque chose d'à part, de singulier, de si charmant. Les guitares, les claviers, la rythmique simple, robotique, le chant de Mathieu, léger et parfois fleur bleu (quelques nananana qu'il se plait à distiller), cette musique si rafraîchissante fait un bien fou ! C'est parfois effréné, comme sur "Sister", qu'on croirait piqué aux Ramones, souvent aérien, comme avec "Blue", superbe chanson qui évoque Lucie Vacarme dans ce qu'elle a d'affrétée.
Et il faudra bien deux filles (Brigitte et Karine) aux synthés pour apporter ces touches electro qui tournent en boucle et qui donnent une tonalité vaguement psychédélique. Cela permet ainsi à des morceaux comme "Dans les rues" de devenir dansant et enivrant.
Le chant est en anglais, à d'autres moments en français, mais dans les deux cas, Mathieu reste doux, inspiré des groupes anglo-saxons qu'il affectionne particulièrement et qu'il a su parfaitement intégrer. Car si Manson's Child déclare avec cet album ne pas vouloir s'inscrire dans les habitudes françaises et fouler ainsi du pied la nouvelle vague (Manson's Child, avec ses surcharges instrumentales et sa débauche de moyens, s'inscrit à l'opposée de Dominique A par exemple), il n'en demeure pas moins que le groupe possède un excellent sens du songwriting. Preuve en est avec l'extraordinaire "Walking on the lane", sans doute le meilleur morceau (dommage qu'il soit placé en premier), avec son chant si ouaté, ses claviers de l'espace, son rythme hypnotique, et surtout, surtout, sa trompette fantastique, digne des plus belles heures de Pale Fountains. Une preuve du talent du groupe.
Et ça, on ne peut pas le leur retirer !