Date : 1991-93
Produit par Deardarkhead
Label : Captured Tracks
Quelle bonne idée que d’avoir rassemblé
tous les singles de ce groupe formidable ! Il faut dire que dès leur
formation en 1988, le guitariste Kevin Harrington, le batteur Rob Weiss et le
bassiste Kevin M mais aussi chanteur Michael Amper n’auront connu que des
galères, entre signatures sur micro-label, tournées dans des salles à
demi-remplis, démos à autoproduire et presque dix ans avant de sortir un album.
Ce qui ne les a pas empêchés de participer au mouvement shoegaze américain. Rob
raconte : « On a démarré en 1988
juste avant que les gens se servent du terme shoegaze ou dream-pop. Au début,
on s’est reconnu comme un groupe post-punk/indie/underground, influencé par
l’Angleterre principalement. On était clairement des fans de shoegaze et à ce
moment-là, c’était un descriptif pratique à utiliser pour que les gens
identifient rapidement notre son. Mais finalement, tout compte fait, on est un
groupe de rock, qui joue une musique atmosphérique, onirique et souvent
bruyante. On aime penser qu’on a apporté notre propre pierre à l’édifice »[i].
Plus
anglais qu'américain dans ses influences, Deardarkhead pratiquait un son qui
rappelle la cold-wave, notamment grâce à une ligne de basse splendide et dont
le rôle mis en avant est de dessiner une structure sourde et féerique, chose
plutôt inhabituelle pour un tel instrument mais qui était très en vogue dans
les années 80. « On voulait sonner comme
une rencontre entre Jesus and Mary Chain et Cocteau Twins… onirique mais noisy.
Je pense aussi que Cure, Bauhaus et Joy Division ont influencé nos premières
chansons. »[ii]. En poussant la
sophistication jusqu’au bout, avec une rythmique carrée, une ambiance de chambre
froide, des guitares lunaires, répétitives et gorgées d’échos, des voix en
retrait émotionnellement mais éminemment soignées et suaves, des nuages
saturées qui font pourtant très propres sur eux, Deardarkhead propose sur ses
singles un luxe maniéré.
Malgré
les distorsions incessantes du superbe « Surf’s up » ou les éclats de guitares
et de cymbales (« Oceanside ») survenant après une langueur entre jazz et
cold-wave, on arrive au contraire à un hébétement dérangeant, car sans rancœur,
ni frustration, sorte de flottaison émotionnelle au sein d’une chimère
esthétique, à la fois riche, luxueuse mais aseptisée. Cela n’empêche pas le ton
de demeurer extrêmement vif, brouillé et chargé, de manière à insister sur la
charge de beauté que ces premiers titres comportent. Rob Weiss insiste : « Les effets de guitares et les textures
qu’ils provoquent composent l’intégralité de notre son »[iii].
Derrière les couches de saturations de « Enough » se cache une immense beauté,
un solo magique et sirupeux, une batterie répétitive mais souple et un chant
tout à la fois affligé et léger.
Le
tempo à la fois glacial et funky de « Strobelight » emmène l’auditeur dans un
monde froid qui s’emporterait, bougerait sans cesse, vivoterait dans une sorte
de chimère de papier glacé.
Les guitares tranchantes et cosmiques
s’associent à une basse typée Sad Lover Giant ou The Sound, et une batterie
robotique dans le but de dépeindre un univers totalement artificiel, dans
lequel les membres de Deardarkhead se laissent aller à leur pulsion. Car le son
reste malgré tout très enlevé. Une façon de faire imposée par les conditions
limitées en studio, comme l’explique Rob Weiss : « La plupart de nos enregistrements a été fait dans un petit studio très
étroit. On y va et on essaye d’enregistrer une chanson en quelques prises,
comme si on jouait en live. On enregistre éventuellement sur plusieurs bandes
au cas où on a aimé une prise. Les voix sont enregistrés après les instruments,
juste pour avoir un son plus isolé ».
Deardarkhead
arrive à faire du merveilleux à une température zéro, comme une fusion entre le
gothique et le shoegaze. Logique lorsque Kevin Harrington fait la liste de tous
ces groupes préférés : « J’aime
penser que tout m’a influencé mais je pense que les plus importants sont
Cocteau Twins, Kitchens of Distinction, The Church, Slowdive, Curve, The
Chameleons, The Cure, Lush, Adorable, Jane’s Addiction, Catherine Wheel »[iv].
Le
chant, soufflé et apprêté, se voit ôté de son caractère sensible pour se faire
au contraire doucereux et dépourvu de fébrilité. Sur « Invisible », au refrain
enchanteur, ou le lent et suave « Little Marinara », plus rien de rock engagé,
mais au contraire l’état extatique d’un maniérisme luxueux et irréel. Un
hommage à la Sainte Trilogie comme le reconnaitra Rob Weiss « Les inspirations les plus fortes qui m’ont
poussé à fonder un groupe, c’est : 4AD Records, Creation Records, Factory
Records »[v].
[i] Interview de Rob Weiss par Amber Rain, sur When the
sun hits, 13 décembre 2011, [en ligne]
http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2011/12/interview-deardarkhead.html
[ii] Idem
[iii] Idem
[iv] Interview de Kevin Harrington par Amber Rain, op. cit.
[v] Interview de Rob Weiss par Amber Rain, op. cit.
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