14 décembre 2009

Deardarkhead : Oceanside 1991-1993


Deardarkhead : Oceanside 1991-1993

Date : 1991-93
Produit par Deardarkhead
Label : Captured Tracks

Quelle bonne idée que d’avoir rassemblé tous les singles de ce groupe formidable ! Il faut dire que dès leur formation en 1988, le guitariste Kevin Harrington, le batteur Rob Weiss et le bassiste Kevin M mais aussi chanteur Michael Amper n’auront connu que des galères, entre signatures sur micro-label, tournées dans des salles à demi-remplis, démos à autoproduire et presque dix ans avant de sortir un album. Ce qui ne les a pas empêchés de participer au mouvement shoegaze américain. Rob raconte : « On a démarré en 1988 juste avant que les gens se servent du terme shoegaze ou dream-pop. Au début, on s’est reconnu comme un groupe post-punk/indie/underground, influencé par l’Angleterre principalement. On était clairement des fans de shoegaze et à ce moment-là, c’était un descriptif pratique à utiliser pour que les gens identifient rapidement notre son. Mais finalement, tout compte fait, on est un groupe de rock, qui joue une musique atmosphérique, onirique et souvent bruyante. On aime penser qu’on a apporté notre propre pierre à l’édifice »[i].
Plus anglais qu'américain dans ses influences, Deardarkhead pratiquait un son qui rappelle la cold-wave, notamment grâce à une ligne de basse splendide et dont le rôle mis en avant est de dessiner une structure sourde et féerique, chose plutôt inhabituelle pour un tel instrument mais qui était très en vogue dans les années 80. « On voulait sonner comme une rencontre entre Jesus and Mary Chain et Cocteau Twins… onirique mais noisy. Je pense aussi que Cure, Bauhaus et Joy Division ont influencé nos premières chansons. »[ii]. En poussant la sophistication jusqu’au bout, avec une rythmique carrée, une ambiance de chambre froide, des guitares lunaires, répétitives et gorgées d’échos, des voix en retrait émotionnellement mais éminemment soignées et suaves, des nuages saturées qui font pourtant très propres sur eux, Deardarkhead propose sur ses singles un luxe maniéré.
Malgré les distorsions incessantes du superbe « Surf’s up » ou les éclats de guitares et de cymbales (« Oceanside ») survenant après une langueur entre jazz et cold-wave, on arrive au contraire à un hébétement dérangeant, car sans rancœur, ni frustration, sorte de flottaison émotionnelle au sein d’une chimère esthétique, à la fois riche, luxueuse mais aseptisée. Cela n’empêche pas le ton de demeurer extrêmement vif, brouillé et chargé, de manière à insister sur la charge de beauté que ces premiers titres comportent. Rob Weiss insiste : « Les effets de guitares et les textures qu’ils provoquent composent l’intégralité de notre son »[iii]. Derrière les couches de saturations de « Enough » se cache une immense beauté, un solo magique et sirupeux, une batterie répétitive mais souple et un chant tout à la fois affligé et léger.
Le tempo à la fois glacial et funky de « Strobelight » emmène l’auditeur dans un monde froid qui s’emporterait, bougerait sans cesse, vivoterait dans une sorte de chimère de papier glacé.
Les guitares tranchantes et cosmiques s’associent à une basse typée Sad Lover Giant ou The Sound, et une batterie robotique dans le but de dépeindre un univers totalement artificiel, dans lequel les membres de Deardarkhead se laissent aller à leur pulsion. Car le son reste malgré tout très enlevé. Une façon de faire imposée par les conditions limitées en studio, comme l’explique Rob Weiss : « La plupart de nos enregistrements a été fait dans un petit studio très étroit. On y va et on essaye d’enregistrer une chanson en quelques prises, comme si on jouait en live. On enregistre éventuellement sur plusieurs bandes au cas où on a aimé une prise. Les voix sont enregistrés après les instruments, juste pour avoir un son plus isolé ».
Deardarkhead arrive à faire du merveilleux à une température zéro, comme une fusion entre le gothique et le shoegaze. Logique lorsque Kevin Harrington fait la liste de tous ces groupes préférés : « J’aime penser que tout m’a influencé mais je pense que les plus importants sont Cocteau Twins, Kitchens of Distinction, The Church, Slowdive, Curve, The Chameleons, The Cure, Lush, Adorable, Jane’s Addiction, Catherine Wheel »[iv].
Le chant, soufflé et apprêté, se voit ôté de son caractère sensible pour se faire au contraire doucereux et dépourvu de fébrilité. Sur « Invisible », au refrain enchanteur, ou le lent et suave « Little Marinara », plus rien de rock engagé, mais au contraire l’état extatique d’un maniérisme luxueux et irréel. Un hommage à la Sainte Trilogie comme le reconnaitra Rob Weiss « Les inspirations les plus fortes qui m’ont poussé à fonder un groupe, c’est : 4AD Records, Creation Records, Factory Records »[v].


[i] Interview de Rob Weiss par Amber Rain, sur When the sun hits, 13 décembre 2011, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2011/12/interview-deardarkhead.html
[ii] Idem
[iii] Idem
[iv] Interview de Kevin Harrington par Amber Rain, op. cit.
[v] Interview de Rob Weiss par Amber Rain, op. cit.

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