11 mai 2013

Pale Saints : The Comfort of Madness


The Comfort of Madness de Pale Saints

Sortie : 1990
Produit par Gil Norton
Label : 4AD

A entendre ces détours déchaînés et frapadingues, cette voix distante, éthérée et neurasthénique, ce shoegazing à la fois délicat et cramé, on reste éberlué.

Une sorte de lenteur contagieuse finit toujours par rattraper le déferlement de guitares soniques pour le plonger dans une froideur et un détachement saisissant. Les guitares sont utilisées comme des coups de ciseaux, la basse un câble d'aluminium et la batterie un maillet, mais les martèlements froissent à peine une feuille de papier. Les notes miraculeuses et les arrangements magnifiques sortent d'un fouillis sonore comme par enchantement ("Way the world is" ou bien "Feel from the sun"). Une torpeur s'installe au beau milieu d'explosions, de vacarmes et de déflagrations en tout genre. C'est vraiment étrange.

Ian Masters est un doux dingue, envahi de névroses et de fantômes intérieurs. Il chante comme un ahuri par-dessus une démolition en règle. A partir de pulsions maladroites et maladives, il arrive à faire de sa musique une révélation. A partir d'un acharnement sonore, il la guide vers une lumière brumeuse mais somptueuse dont on ne sait si elle est bonne à contempler. Sa voix est détachée, les guitares se crispent sans raison et la batterie cogne pour rien, si bien qu'on se demande pourquoi faire tant de bruit pour dire des choses si douces.

Ça ressemble à un tir de pistolet dans un oreiller ("You tear the world in two"), une sorte de feux d'artifices de plumes ("Insubstancial" et sa basse géniale). On perd pied. Derrière les mélodies évidentes se cachent des signes de folie, à chaque détour on risque d'être surpris par quelques bruits dadaïstes ou une saturation électrique. Chaque morceau semble être accompagné jusqu'au suivant par une continuité expérimentale, composée de petits bruits blancs ou de trafiquotage de studio. Mais ces difficultés (ce premier opus n'est pas un modèle d'accessibilité mais reste une des pièces maîtresses du shoegaze à réhabiliter) rendent l'ensemble attachant, intriguant et sans conteste très beau. A l'instar de "Sight of you" ou du délicat et fragile "Sea of wound". D'après le titre de l'album, ne serions-nous pas en effet dans un monde où la démence est la loi, la raison passible de sentence ? L'univers même où habite Ian Masters ?

Sur la corde raide, on marche en équilibriste au beau milieu d'une construction qui se démolit à chaque chanson, un labyrinthe dont le plan se modifie à chaque fois, un palais des glaces dans l'obscurité. La magnificence, la grâce n'ont jamais paru aussi fragiles. Les définitions se brouillent. Le chant de Ian Matters semble si doux qu'il en devient irréel. Il nous renvoit non pas à ce qu'on recherche dans sa musique -il l'ignore lui-même-, mais sur cette propre recherche. Toutes les interrogations suscitées, la foule d'émotions ressenties devant cette œuvre hors-norme apparaissent comme des trésors. Des trésors de beauté et de finesse.

Car la musique de Pale Saints, aussi étrange qu'elle puisse paraître, est belle et mélodieuse à en pleurer.

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