Catherine Wheel
Pour ce groupe de Norwich, bien éloigné de la gargouillante Thames Valley,
tout a pourtant démarré très vite, et ils sont les premiers à avoir signé sur
une major. Ce qui ne les a pas empêchés de proposer un shoegaze vitaminé et
classieux, en dépit des réserves légitimes qu’on pouvait attendre de la part
d’une telle structure. Comme le résume Rob Dickinson, le chanteur de Catherine
Wheel : « On n’a pas vendu des
millions d’albums et on n’est pas devenu des rock stars, mais je ne suis pas
sûr que c’était le plan. (…) Le principal a été préservé, qui est tout de même
la musique. On n’a jamais été pressé par notre label à faire certains types de
disques ou répéter une formule gagnante. C’est presque bizarre, au vu de tout
le fric brassé par le label, qu’on ait pu être autorisé à faire ce qu’on
voulait, ce qui n’arrive pas souvent. On a été un des derniers groupes à agir
de la sorte, avant que la porte se referme et qu’ils adoptent une posture
différente. »[i]
Comment un tel groupe shoegaze a pu intéresser à l’époque une major ?
Certainement par l’entremise d’un réseau indépendant, qui n’existe plus
aujourd’hui à Norwich, à savoir tout d’abord Barry Newman, le fameux
propriétaire du Wilde Club, et ensuite par John Peel, célèbre animateur de la
BBC. En effet, le 24 septembre 1990, Catherine Wheel joue donc son premier
concert au Wilde Club, en compagnie de The Bardot, autre groupe du sérail. Leur
prestation enlevée et hardie, leur permet de taper dans l’œil de Barry Newman.
A ce moment le groupe comprend Rob Dickinson, Brian Futter, Neil Sims et Dave
Hawes, tous enchainant les petits boulots pour survivre. Il décide de les
prendre sous son aile pour les promouvoir et publie un premier single en 1991. Cette première compilation obtient de bonnes critiques, dans toutes les
revues spécialisées et les fanzines, sans pour autant réussir à dépasser le
cercle restreint de la scène de Norwich. Ils étaient loin de s’imaginer ce qui
allait arriver par la suite. Une nuit, alors que Neil faisait des heures sup’ à
son boulot (il travaillait à l’époque dans une société de raffinerie
pétrolière) et s’ennuyait devant son écran d’ordi, il tombe des nues à la
radio. Il ne pouvait pas y croire : John Peel était en train de diffuser une de
leur chanson ! Et les choses s’accélèrent avec Fontana qui leur tend les bras.
Pour enregistrer leur premier album, les membres du groupe étant de grands
fans de Talk Talk, décident de faire appel à leur producteur, Tim
Friese-Greene. En studio, il réussit à capter la puissance du groupe, à
clarifier le son des guitares, à renforcer la section rythmique, jusqu’à rendre
épiques certains morceaux, comme « Black Metallic », étendu sur sept minutes.
Il fut à ce point responsable du son de Catherine Wheel que d’aucuns
considèrent qu’il était le cinquième membre du groupe, comme il était le
cinquième membre de Talk Talk. Rob Dickinson décrit comment ils ont obtenu ce
son intense, presque gonflé : « On
a enregistré nos premiers single dans la chambre de Brian sur un 8-pistes, donc
on n’avait pas trop de couches de guitares jusqu’à ce qu’on travaille avec Tim.
Il a tenu à utiliser des pédales d’effets et des amplificateurs de sons pour
expérimenter. Ça nous a donné ce son tout en texture sur notre premier album
car sur certaines chansons, il y avait jusqu’à quatre guitares rythmiques
empilées les unes aux autres. A partir du moment où vous mettiez plus d’une
guitare, le simple fait de ne pas pouvoir les jouer de la même manière à chaque
fois, donnait un effet chorale, une sorte de son éthéré. »[ii]
Hélas, la scène de Norwich souffre de son isolement. Si Catherine Wheel
souhaite davantage se faire connaître après cet album, il faut se produire à
Londres. Ils essayent de percer là-bas, multiplient les concerts avec Slowdive,
Ride et compagnie. Mais ils tentent de garder leur distance, ont du mal à
s’inscrire dans ce cercle fermé d’amis et ne veulent pas s’éterniser dans un style
shoegaze qu’ils jugent nombriliste. Le fait qu’ils soient un des rares à être
sur une major n’a pas non plus facilité leur intégration. Rob Dickinson
regrette que la façon dont le shoegaze a été traité : « NME a été grandement responsable de ça. Ils
ont promu une scène exprès pour mieux la critiquer quelques mois plus tard.
Mais au final [ces scènes qui apparaissent] ça fait avancer les choses, ça
apporte un vent de fraîcheur. Donc le shoegaze a pu finalement avoir ses dix
minutes de gloire, en pleine lumière. »[iii] Du coup, pour les albums
suivants, même si peut conseiller le très bon Chrome en 1993, le raffinement servi dans un fracas fabuleux est
abandonné au profit d’un style plus rentre dedans, voire de plus en plus
ouvertement tourné vers les Etats-Unis, dans une volonté de se détacher d’une
scène encombrante. Rob tente pourtant de se justifier : « Avec le recul, s’impliquer [dans la scène
shoegaze] était une chose juste à faire lorsqu’on a démarré, d’autant que
venant d’un trou paumé d’Angleterre, ça ne pouvait pas faire de mal
d’appartenir à quelque chose. Ça signifiait qu’on venait de passer le premier
niveau sur l’échelle de la considération. Puis c’est devenu [un style] ringard
et ennuyeux au bout de quelques mois, et complètement hors de propos encore
quelques mois plus tard. On n’a pas cherché consciemment à nous extirper de ce
bourbier, c’est juste que le groupe a changé. »[iv] Sauf
qu’à force de s’éloigner de leur style d’origine, c’est la Brit-Pop qui rafle
la mise, condamnant le groupe, malgré un succès d’estime outre-Atlantique, de
se séparer au début des années 2000. Dave Hawes regrette : « Ce fut une spirale infernale. Des ventes
décevantes, des problèmes au sein du label, les égos… une concoction de choses
et d’autres. C’est une honte la façon dont ça s’est fini. »[v]
[i] Interview de Rob Dickinson par Nancy J Price, sur She
knows, 22 mars 2010, [en ligne]
http://www.sheknows.com/entertainment/articles/7537/questions-with-rob-dickinson-formerly-of-catherine-wheel
[ii] Rob Dickinson cité par HP Newquist, sur Guitar
International, décembre 1993, [en ligne]
http://guitarinternational.com/2010/08/21/catherine-wheel-spinning-textures-in-chrome/
[iii] Interview de Rob Dickinson par Carlos Ramirez, sur
Ultimate Guitar, 8 juillet 2008, [en ligne]
https://www.ultimate-guitar.com/interviews/interviews/rob_dickinson_the_songs_are_snapshots_of_different_times_in_my_life.html
[iv] Interview de Rob Dickinson par Dave Robbins, sur
Radcyberzine, 1995, [en ligne]
http://www.radcyberzine.com/text/interviews/CathWeel.int.g.html
[v] Interview de Dave Hawes sur When the sun hits, 25
octobre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/10/interview-dave-hawes-of-catherine-wheel.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire