Postcards from the arctic de Springhouse
Sortie : 1993
Produit par : Joe Chicharelli
Label : Caroline
Après
un premier album prometteur mais qui n’allait peut-être pas au bout de son
ambition, le trio, Jack Rabid, Mitch Friedland,
Larry Heinemann, choisissent de durcir leur son. Puissants et volumineux,
les morceaux forcent le trait, afin de coller au plus près aux véritables
aspirations de ces hommes, d’une grande sensibilité. « Le thème
principal de l’album traite de l’âpreté de la vie à New-York, explique Jack
(c’est lui qui chante sur la ballade semi-acoustique « Time to go »), l’arctique
est une métaphore à propos du désert sentimental que peut représenter une ville
comme New York »[i].
Ainsi, des titres comme « Alley Park », « Ghost », « The Light », prennent le
temps de se poser doucement, de développer ses nuages de mélancolie et de
finesse, tout juste traversés d’arpèges délicieux et d’un chant affrété, avant qu’une
véritable tempête sonore ne vienne éclater sourdement en un tonnerre saturé et
un grondement de caisses (le jeu de Jack à la batterie fait des prouesses sur
cet album). Les airs prennent sous ce nouveau souffle une envergure
impressionnante et s’élèvent, poussés par les agitations, vers une majesté
tempétueuse, tant pis pour le chant un peu forcé parfois.
Bien
que commençant par des arpèges fabuleux, « Asphalt Angels » s’élève dès lors
que la batterie se fait plus insistante et que les guitares saturées rentrent
en scène. Le groupe y lâche toute sa frustration. C’est que les membres se
sentent piégés à New York, une ville qu’ils connaissent par cœur, mais qui leur
donne aussi l’impression de les étouffer. Jack a des rêves d’évasion : « On aimerait un jour pouvoir partir sur la
route en tournée et y rester pour toujours »[ii].
La seule fois où leur label Caroline leur a proposé de partir en tournée en
1991 avec les Smashing Pumpkins, cela a été annulé au dernier moment. Jack en
nourrit de l’amertume : « Toute
cette scène alternative des années 90 n’était qu’une fumisterie. Ça a entravé
la carrière de pas mal de groupes qui ne correspondaient pas au moule. (…) Les
Smashing Pumpkins nous ont éjectés de leur tournée avant le premier concert
parce que leur album avait explosé. On avait passé des semaines à planifier des
arrangements, à obtenir que nos jobs soient conservés après la tournée, pour
louer un van, et louer du matériel, et tout ça, et le jour avant la première
date, ils nous virent sans nous prévenir. C’était une blague ! J’ai dit
plus tard à Billy Corgan que je n’avais pas particulièrement apprécié, mais il
ne semblait pas s’en soucier »[iii].
Face à ces concours de circonstances, le groupe livre sur cet album toute leur
dureté à l’égard du monde et la confronte à leurs vœux romantiques.
La
musique de Springhouse se fait alors très percutante, véritable tourbillon
merveilleux, qui dévaste tout sur son passage à l’image de ces déferlantes de
guitares, voire même de ces riffs coup de massue (« Enslave Me »). On les a
assimilés au shoegaze anglais même si c’est surtout dû au hasard. Pour
Mitch : « A cette époque, tous ces
groupes commençaient à apparaître comme Lush et Slowdive, et on se disait :
‘’waou, on ressemble vachement à beaucoup de ces groupes’’. On a été étiqueté
shoegaze mais ça n’était pas notre intention »[iv].
On se laisse éblouir par ce punch, cette conviction à jouer de l’avant, à
assumer ce côté luxueux. Visiblement, et le groupe le reconnaît lui-même, cette
nouvelle étape a été possible grâce à l’apport de leur nouveau producteur, Joe
Chiccarelli, connu pour avoir signé le premier album Everclear d’American Music
Club. « Il nous a apporté le son clair et brillant qu’il nous manquait
sur notre premier opus »[v]
reconnaît Mitch Friedland. Les quatre hommes se mettent d’accord : ne pas
hésiter une seule seconde dans la surenchère. Le jeu de Mitch à la guitare sera
alors soutenu par plus de saturation et les deux autres se mettront à son
service, en se superposant à sa vigueur. Le guitariste raconte comme est venu
ce son particulier : « Par accident, en
utilisant une guitare acoustique et une pédale à distorsion. Je me souviens de
Jack et moi qui nous rendions à un magasin de musique et on a pris une pédale à
distorsion. Le vendeur a pointé ma guitare et m’a demandé : ‘’vous allez
prendre ça pour votre guitare ? Ça craint !’’. On a commencé à rigoler mais
quand on a essayé en studio, on a adoré le son que ça a fait »[vi].
Trop
violent pour de la pop, trop doux pour du rock, la musique de Springhouse est
une bulle à part, probablement le seul moyen pour les membres du groupe
d’échapper aux contraintes d’une industrie musicale qu’ils jugent hypocrite. Jack
Rabid admet ne pas faire comme tout le monde : « C’est sûr que comparé à la plupart des américains qui écoutent 90%
d’albums américains et 10% d’albums anglais, nous, on est plutôt 50/50 »[vii].
De toute manière, ils ne se reconnaissent pas dans les groupes issus comme eux
du sérail indépendant : « L’underground
a été tellement élitiste pendant si longtemps que ça défend n’importe quoi
plutôt que ce qui est vraiment bon. En ce sens, c’est désormais un désert parce
que plus personne ne se souvient du peu qu’ils ont produits. Jouer dans un
groupe ça serait contreproductif pour moi »[viii].
Mitch de surenchérir : « La
première fois qu’émerge l’underground, c’est l’histoire en marche. La deuxième
fois, c’est de la merde »[ix].
C’est
donc passé sous des tonnes d’effets (c’est à peine si on distingue la mandoline
et les violons sous les saturations du magnifique et poignant « Worthless »)
que leurs poèmes se font les plus éloquents. Une sorte d’exutoire émotif
(parfois Mitch semble y mettre toutes ses tripes, à défaut d’avoir une voix
parfaitement assurée) pour démultiplier ses états d’âmes. Le single « All About
Me » ou « Misjudgment » sont peut-être robustes, elles n’en demeurent pas moins
des chansons qui explorent les amours perdus, l’enfance, les souvenirs et les
doutes existentiels, bref toute une facette plus fragile, avec ces petites
guitares sèches, ces chœurs doublées et ces mélodies enchanteresses.
Springhouse met tout ce bouillonnement intérieur en musique, se libérant d’un
certain musellement, presque jusqu’à déborder par maladresse.
[i] Jack Rabit cité par R. M. sur East Coast Rocker, 7
avril 1993, [en ligne] http://tripalot.com/springhouse/interviews/
[ii] Idem
[iii] Interview de Jack Rabit par Danny Lackey, sur When the
sun hits, 9 décembre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/12/interview-conversation-with-jack-rabid.html
[iv] Interview de Mitch Friedland par John Clarkson sur
Pennyblackmusic, 11 janvier 2009, [en ligne]
http://www.pennyblackmusic.co.uk/MagSitePages/Article/4955/Springhouse
[v] Mitch Friendland cité par Kevin Linehand, sur Mixx
Magazine, mai 1993, [en ligne] http://tripalot.com/springhouse/interviews/
[vi] Interview de Mitch Friedland par John Clarkson, op.
cit.
[vii] Interview de Jack Rabid par John Clarkson, op. cit.
[viii] Jack Rabit cité par Joe S. Harrington, sur New Route
Magazine, 1991, [en ligne]
http://tripalot.com/springhouse/interviews/#new_route_magazine_1991
[ix] Mitch Friedland cité par Joe S. Harrington, op. cit.
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