Coterie de LevitationCoup de coeur !Sortie : 1991
Produit par Harold Burgen, Mike Digman et Ken Gardner
Label : Capitol
Produit par Harold Burgen, Mike Digman et Ken Gardner
Label : Capitol
La rumeur faisant de Terry Bikers,
ancien de House of Love, un drogué notoire ne risquait pas d’être démenti avec
les premières chansons de Levitation : shoegaze-space rock-prog, la
mixture donne le tournis. La pochette kaléidoscopique l’indique clairement,
cette compilation des premiers singles du groupe fera la part belle aux
compositions alambiquées. Le superbe « Firefly » est caractéristique à ce
titre, imposant un univers très spacieux, dont le chant léger, mais tout en
aspiration, dérive vers des calmes vertigineux après des guitares acérées
venues de l’espace. On dirait du Ride ou du Catherine Wheel (deux groupes avec
qui Levitation a démarré sa carrière en concert), notamment dans la façon de
chanter ou d’assembler les textures, mais c’est clairement plus spatial, plus
psychédélique et plus illuminé.
A propos d’un concert à Londres au Mean
Filder, Steve Sutherland écrira : « c’est
la renaissance du rock progressif »[i].
Une sorte de shoegaze qui invoque les esprits seventies hippies et obscurs. On
pense bien-sûr à Yes mais aussi à Hawkwind, Pink Fairies, UFO ou Grateful Dead.
Difficile d’ailleurs avec un titre comme « It’s Time » de reconnaître que le
groupe est de 1991, tant ces aspirations le portent clairement vers une ode au
psychédélisme comme on n’a plus guère connu. Ce qui ne manquera pas de dérouter
d’ailleurs. « Ne soyez pas effrayés par
ce mot. Je ne suis pas gêné de le dire, revendique Terry Bickers. Nous sommes un groupe de rock prog. On peut
l’être sans être pompeux. Ça sonne un peu cliché mais je m’en fous. Nous sommes
ici et maintenant. »[ii].
Mais Levitation va encore plus loin et
s’offre même des moments perdus dans des méandres complexes ; les guitares
ne sont là que pour surgir de temps à autre, comme des éclairs, des plaintes
fantomatiques traversent les morceaux, chaque instrument possède son
intervention, répondant à la voix, soit parlant toute seule en arrière fond,
soit suave, soit plus mordante, les ambiances oscillent entre psychédélisme
absolu et space-rock épique, le travail sur la rythmique du batteur Dave
Francolini est tout bonnement phénoménal, se reposant sur les contretemps, les
percussions transcendantales ou les moments chaloupés. « Notre atout, c’est la suggestion. Qu’est-ce que le rythme ? Le rythme
ne veut rien dire en lui-même. Tout ce que ça fait, c’est de suggérer l’infini
et toutes les nuances dans cet infini. Et je suppose que c’est ce que nous
faisons. Le pouvoir de suggérer les sentiments que je ressens. »[iii]. On évoquera pour
illustrer cela le mystique « Rosemarys Jones », longue pièce de sept minutes,
inquiétant presque, tant le rythme est paresseux, mais dont la plongée en apnée
permet de s’immiscer au milieu de démonstrations techniques au service de
délires et de lenteurs psychédéliques.
Ce qui est certain, c’est qu’ils
puisent leur énergie de leurs expériences passées avec les drogues. Dave le
confesse : « Je pense qu’on
peut compter sur les doigts d’une main les fois où au moins l’un d’entre nous
n’était pas stone lorsqu’on était tous ensemble. Ouais, on était
complètement à l’ouest. »[iv] Ce qui ne les empêche pas
de s’investir à 100% dans la musique. Dave fait la part des choses :
« On a travaillé incroyablement dur,
on a écouté pleins de disques, on a fumé des tonnes d’herbes, on a pris plein d’acides
et d’ecstasy et on a exprimé tout ce bordel. »[v]
On le sent dans l’ambiance qu’ils instaurent, variant d’un concert à l’autre,
mais jamais improvisée, composée plutôt d’ambiances collées ensemble ou de
longues montées crescendo, savamment écrites. « Bendlam » dont l’intro floutée,
presque sous l’eau, ajoute progressivement un chant chaud et rond, qui va se
noyer sous les coups de caisses et les arpèges progressifs des guitares. La
voix de Terry Bikers se fait chaloupée, les claviers de Robert White sidéraux,
la basse obscure, les guitares crispantes, jusqu’à une montée en puissance
ébouriffante, ténébreuse et sauvage. Le retour au calme après six minutes est
presque un choc. La conclusion sous un déluge shoegaze de guitares saturées
prendra une ampleur boursouflée qui laissera pantois. Bic, le bassiste, explique :
« Ce n’est pas tant les drogues en
elle-même qui sont importantes mais ce qu’on apprend au travers elles. Ça a
souvent quelque chose à voir avec notre musique. Triper, c’est une façon de toucher
du doigt qui on est vraiment. Un mauvais trip peu vous en apprendre beaucoup
sur vous-même. Si vous êtes choqués par ce que vous découvrez, vous pouvez
alors le transformer en quelque chose de positif. »[vi]
Le groupe ose alors tout et s’autorise
même des moments de fougues frénétiques (« Paid In Kind » dont la force est
tempérée par un break qui prend à la gorge) tout comme des interludes bizarres
mais magnifiques (aaah ! l’incongru « Nadine », le chœur de Yuka Ikushima, son
mur du son shoegaze évasif, sa plainte répétitive et sa trompette !). Arrivé au
bout de son exubérance et de ses penchants pour les réminiscences
interstellaires, Terry Bickers fascine alors et accroche les esprits. Mike
Smith, scout chez A&R, se souvient du personnage et de la sidération qu’il
pouvait provoquer : « Il était
plutôt du genre à sortir des notes une à une avec sa guitare, à tel point que
vous obteniez une sorte de grande lessive de sons. Et il était capable de
courir sur scène, de sautiller, de convulser, comme s’il était branché sur du
courant. Il donnait l’impression de ne pas à faire à un type ordinaire, plutôt
un chaman. Il y avait quelque chose de totalement magique en lui. (…)
Kevin Shields était la seule personne de sa génération à être capable de faire
comme lui. »[vii] Que dire de « Smile »,
version live ? L’intro lancinante, sorte de bande-son de 2001, l’Odyssée de
l’Espace, serre le cœur, rendant plus susceptible d’être marqué par la voix
douce de Terry Bikers ou la rentrée du riff spatial de la guitare. Toujours la
même ritournelle, magnifique, splendide, il n’y a guère de mots, mais une
structure en escaliers qui monte cran après cran dans l’intensité, en
additionnant les instruments, avant de redescendre de quelques marches pour un
effet des plus mystiques.
Malheureusement, Terry Bickers, après
un album en 1992, finira complètement cramé par les drogues, et au cours d’un
concert en 1994, abandonnera lâchement ses partenaires de manière totalement
inexpliquée, mettant un terme brutal à ce groupe mythique : « Je ne pense pas que je faisais une
dépression, je voulais juste me dégager de ça. (…) Je voulais éviter toute
discussion avec le groupe ou mon manager. (…) Assumer cette routine lors des
tournées, ce n’était pas vraiment moi. (…) Je sentais une distance grandir
entre moi et les autres membres, même si je reconnais avoir une grande part de
responsabilité dans ce sentiment d’aliénation. »[viii]
[i] Steve Sutherland, sur Melody Maker, 13 avril 1991, [en
ligne] http://www.levitationarchive.co.uk/reviews-live.html
[ii] Terry Bickers cité par Steve Sutherland, sur Melody
Maker, 27 avril 1991, [en ligne] http://www.levitationarchive.co.uk/interviews-melody-maker-apr91.html
[iii] Idem
[iv] Propos de Dave Francolini rapportés par Wyndham
Wallace, sur Quietus, 23 mai 2012, [en ligne]
http://thequietus.com/articles/08836-levitation-an-oral-history
[v] Idem
[vi] Bic Hayes cité par The Stud Brothers, sur Melody
Maker, 22 février 1992, [en ligne]
http://www.levitationarchive.co.uk/interviews-meoldy-maker-04.html
[vii] Propos de Mike Smith rapportés par Wyndham Wallace,
op. cit.
[viii] Propos de Terry Bickers rapportés par Wyndham Wallace,
op. cit.
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