1 juillet 2008

Levitation : Coterie



Coterie de LevitationCoup de coeur !Sortie : 1991
Produit par Harold Burgen, Mike Digman et Ken Gardner
Label : Capitol


La rumeur faisant de Terry Bikers, ancien de House of Love, un drogué notoire ne risquait pas d’être démenti avec les premières chansons de Levitation : shoegaze-space rock-prog, la mixture donne le tournis. La pochette kaléidoscopique l’indique clairement, cette compilation des premiers singles du groupe fera la part belle aux compositions alambiquées. Le superbe « Firefly » est caractéristique à ce titre, imposant un univers très spacieux, dont le chant léger, mais tout en aspiration, dérive vers des calmes vertigineux après des guitares acérées venues de l’espace. On dirait du Ride ou du Catherine Wheel (deux groupes avec qui Levitation a démarré sa carrière en concert), notamment dans la façon de chanter ou d’assembler les textures, mais c’est clairement plus spatial, plus psychédélique et plus illuminé.
A propos d’un concert à Londres au Mean Filder, Steve Sutherland écrira : « c’est la renaissance du rock progressif »[i]. Une sorte de shoegaze qui invoque les esprits seventies hippies et obscurs. On pense bien-sûr à Yes mais aussi à Hawkwind, Pink Fairies, UFO ou Grateful Dead. Difficile d’ailleurs avec un titre comme « It’s Time » de reconnaître que le groupe est de 1991, tant ces aspirations le portent clairement vers une ode au psychédélisme comme on n’a plus guère connu. Ce qui ne manquera pas de dérouter d’ailleurs. « Ne soyez pas effrayés par ce mot. Je ne suis pas gêné de le dire, revendique Terry Bickers. Nous sommes un groupe de rock prog. On peut l’être sans être pompeux. Ça sonne un peu cliché mais je m’en fous. Nous sommes ici et maintenant. »[ii].
Mais Levitation va encore plus loin et s’offre même des moments perdus dans des méandres complexes ; les guitares ne sont là que pour surgir de temps à autre, comme des éclairs, des plaintes fantomatiques traversent les morceaux, chaque instrument possède son intervention, répondant à la voix, soit parlant toute seule en arrière fond, soit suave, soit plus mordante, les ambiances oscillent entre psychédélisme absolu et space-rock épique, le travail sur la rythmique du batteur Dave Francolini est tout bonnement phénoménal, se reposant sur les contretemps, les percussions transcendantales ou les moments chaloupés. « Notre atout, c’est la suggestion. Qu’est-ce que le rythme ? Le rythme ne veut rien dire en lui-même. Tout ce que ça fait, c’est de suggérer l’infini et toutes les nuances dans cet infini. Et je suppose que c’est ce que nous faisons. Le pouvoir de suggérer les sentiments que je ressens. »[iii]. On évoquera pour illustrer cela le mystique « Rosemarys Jones », longue pièce de sept minutes, inquiétant presque, tant le rythme est paresseux, mais dont la plongée en apnée permet de s’immiscer au milieu de démonstrations techniques au service de délires et de lenteurs psychédéliques.
Ce qui est certain, c’est qu’ils puisent leur énergie de leurs expériences passées avec les drogues. Dave le confesse : « Je pense qu’on peut compter sur les doigts d’une main les fois où au moins l’un d’entre nous n’était pas stone lorsqu’on était tous ensemble. Ouais, on était complètement à l’ouest. »[iv] Ce qui ne les empêche pas de s’investir à 100% dans la musique. Dave fait la part des choses : « On a travaillé incroyablement dur, on a écouté pleins de disques, on a fumé des tonnes d’herbes, on a pris plein d’acides et d’ecstasy et on a exprimé tout ce bordel. »[v] On le sent dans l’ambiance qu’ils instaurent, variant d’un concert à l’autre, mais jamais improvisée, composée plutôt d’ambiances collées ensemble ou de longues montées crescendo, savamment écrites. « Bendlam » dont l’intro floutée, presque sous l’eau, ajoute progressivement un chant chaud et rond, qui va se noyer sous les coups de caisses et les arpèges progressifs des guitares. La voix de Terry Bikers se fait chaloupée, les claviers de Robert White sidéraux, la basse obscure, les guitares crispantes, jusqu’à une montée en puissance ébouriffante, ténébreuse et sauvage. Le retour au calme après six minutes est presque un choc. La conclusion sous un déluge shoegaze de guitares saturées prendra une ampleur boursouflée qui laissera pantois. Bic, le bassiste, explique : « Ce n’est pas tant les drogues en elle-même qui sont importantes mais ce qu’on apprend au travers elles. Ça a souvent quelque chose à voir avec notre musique. Triper, c’est une façon de toucher du doigt qui on est vraiment. Un mauvais trip peu vous en apprendre beaucoup sur vous-même. Si vous êtes choqués par ce que vous découvrez, vous pouvez alors le transformer en quelque chose de positif. »[vi]
Le groupe ose alors tout et s’autorise même des moments de fougues frénétiques (« Paid In Kind » dont la force est tempérée par un break qui prend à la gorge) tout comme des interludes bizarres mais magnifiques (aaah ! l’incongru « Nadine », le chœur de Yuka Ikushima, son mur du son shoegaze évasif, sa plainte répétitive et sa trompette !). Arrivé au bout de son exubérance et de ses penchants pour les réminiscences interstellaires, Terry Bickers fascine alors et accroche les esprits. Mike Smith, scout chez A&R, se souvient du personnage et de la sidération qu’il pouvait provoquer : « Il était plutôt du genre à sortir des notes une à une avec sa guitare, à tel point que vous obteniez une sorte de grande lessive de sons. Et il était capable de courir sur scène, de sautiller, de convulser, comme s’il était branché sur du courant. Il donnait l’impression de ne pas à faire à un type ordinaire, plutôt un chaman. Il y avait quelque chose de totalement magique en lui. (…) Kevin Shields était la seule personne de sa génération à être capable de faire comme lui. »[vii] Que dire de « Smile », version live ? L’intro lancinante, sorte de bande-son de 2001, l’Odyssée de l’Espace, serre le cœur, rendant plus susceptible d’être marqué par la voix douce de Terry Bikers ou la rentrée du riff spatial de la guitare. Toujours la même ritournelle, magnifique, splendide, il n’y a guère de mots, mais une structure en escaliers qui monte cran après cran dans l’intensité, en additionnant les instruments, avant de redescendre de quelques marches pour un effet des plus mystiques.
Malheureusement, Terry Bickers, après un album en 1992, finira complètement cramé par les drogues, et au cours d’un concert en 1994, abandonnera lâchement ses partenaires de manière totalement inexpliquée, mettant un terme brutal à ce groupe mythique : « Je ne pense pas que je faisais une dépression, je voulais juste me dégager de ça. (…) Je voulais éviter toute discussion avec le groupe ou mon manager. (…) Assumer cette routine lors des tournées, ce n’était pas vraiment moi. (…) Je sentais une distance grandir entre moi et les autres membres, même si je reconnais avoir une grande part de responsabilité dans ce sentiment d’aliénation. »[viii]




[i] Steve Sutherland, sur Melody Maker, 13 avril 1991, [en ligne] http://www.levitationarchive.co.uk/reviews-live.html
[ii] Terry Bickers cité par Steve Sutherland, sur Melody Maker, 27 avril 1991, [en ligne] http://www.levitationarchive.co.uk/interviews-melody-maker-apr91.html
[iii] Idem
[iv] Propos de Dave Francolini rapportés par Wyndham Wallace, sur Quietus, 23 mai 2012, [en ligne] http://thequietus.com/articles/08836-levitation-an-oral-history
[v] Idem
[vi] Bic Hayes cité par The Stud Brothers, sur Melody Maker, 22 février 1992, [en ligne] http://www.levitationarchive.co.uk/interviews-meoldy-maker-04.html
[vii] Propos de Mike Smith rapportés par Wyndham Wallace, op. cit.
[viii] Propos de Terry Bickers rapportés par Wyndham Wallace, op. cit.

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