24 août 2009

Eternal : Breathe



Breathe de Eternal

Sortie : 1990
Produit par Christian Savill
Label : Sarah Records

Le monde entier devrait le savoir mais en 1995, une femme s’est éteinte. Disparue dans l’indifférence générale, hormis pour quelques amateurs éperdus. Elle s’appelait Sarah, elle était belle, aimait la poésie, les garçons un peu timides et les mélodies intimistes et sucrées.
Basé à Bristol, le label Sarah Record défendit avec âme et honnêteté la cause de l’indie pop.
Encore ceux qui ont connu cette époque bénite, uniquement dévolue aux chansons suaves et feutrées, en parlent avec des trémolos dans la voix. On se souvient de groupes comme The Field Mice, Another Sunny Day, Saint Christopher, The Orchids. On se souvient de leurs vinyls et de leurs singles, faute de moyens pour presser plus d’albums, qui se sont transformées en objets de culte. On se souvient aussi de leurs pochettes, représentant des photos des monuments de Bristol, uniquement en bi-chromatie, pour se donner un style reconnaissable mais surtout par manque d’argent. C’est à regretter que personne n’ait repris le flambeau. Car Sarah Records représentait réellement ce qu’était le rock indépendant.
Parmi le catalogue, peu connu mais très précieux, on peut débusquer ce single, unique single d’un groupe éphémère : Eternal. Les premiers pas dans le shoegaze pour quelques uns qui allaient fonder par la suite Slowdive ou Seefeel. Mais voilà trois chansons superbes de chaleur et de tendresse. Chansons qui sont un parfait exemple de la ligne de conduite du label Sarah Records.
Ce n’est pas sans une immense nostalgie à l’égard du label que l’on écoute ces chansons. Leur calme, leur tristesse infinie, leur plénitude en font des sommets de grâce contemplative. Pas de surenchère, pas de maniérisme, pas de clichés, juste des boucles mélodiques qui se prolongent, ne dépassant pas une octave (le motif lancinant de « Sleep » qui voit se superposer divers violons et des chants crémeux et légers) ou des poèmes désespérés et abattus (la complainte à la guitare sèche et aux violons celtes de « Take me down » qui finit par exploser d’intensité dramatique). Les mélodies sont évidentes, parfois belles à pleurer, la voix de Christian Savill, grave mais pourtant légère comme une plume est insidieusement charmeuse, les guitares magiques se répètent à l’infini, les climats très reposés : une ambiance cotonneuse et relaxante se dégage de cet unique essai. Jamais ça ne dépasse d’un ton, jamais ça ne se précipite, jamais ça n’oserait rompre le charme. Et s’il devait y avoir des saturations, comme sur le magnifique « Breathe », tout juste si ça recouvre comme un voile les guitares aériennes et les voix angéliques.
On pourrait reprocher à cette musique un côté mièvre. D’ailleurs beaucoup ont comparé tous ces groupes à des gamins jouant à touche-pipi sous les couettes de Sarah Records et c’était sans doute vrai. A voir la dégaine post-adolescente de ces musiciens là, cheveux courts, lunettes d’étudiant et gros pull, on sent bien qu’il aurait aimé se lover plus longtemps dans le giron de Sarah. Mais eux seuls pouvaient exprimer avec tant de justesse tout le plaisir de persister dans une bulle de douceur totalement régressive.
Faute de moyens, ridiculisé par les autres, le label du mettre la clé sous la porte, et Sarah s'en alla sans dire un bruit, comme à son habitude, elle qui ne voulait jamais faire de chichi, préférant dorloter ses enfants chéris, trop chétifs pour sortir de ses jupons. Elle qui s'est contenté de laisser un flyer attendrissant derrière elle (sur le NME), expliquant que "Pour des raisons de pureté, de panache et de pop-music, Sarah Records a décidé d'arrêter.".
Le 28 août 1995, c’est un festival particulier qui mit un terme à l’aventure de Sarah Records. Pendant toute une journée à Bristol, au sein d'une péniche, le Thelka, des milliers de fans pleurèrent la fermeture de leur label, comme s'il perdait un être cher, et c'était le cas, applaudissant les prestations successives de tous les groupes qui avaient fait sa renommée : Blueboy, The Orchids, Secret Shine, Brighter, Heavenly et tant d’autres.. Et l'on repense à ces mots, si vrais, si sincères, mais si durs à avaler : "le premier acte de révolution c'est la destruction et qu'il faut commencer par le passé.". C'est triste, mais plein de bon sens, le label n'oubliait pas de rajouter : "c'est comme lorsqu'on tombe amoureux, ça nous rappelle qu'on est en vie".
Et on se dit, avec un pincement au cœur, qu'une telle musique, comme celle d’Eternal, si exquise, si inoffensive, ne pourra plus jamais exister.

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