10 septembre 2008

The Telescopes : Taste


Taste de The TelescopesSortie : 1989
Produit par Richard Formby
Label : What Goes On


C’est vicieusement que « And let me drift away » est placé en ouverture.
Tandis que le tempo nonchalant installe tranquillement une atmosphère enfumée mais particulièrement cool (aahhh… son violon !), c’est un assaut brouillon qui prend à la gorge et surprend, dès « I Fall, She Screams », avec ses cris sauvages et ses crispations douloureuses.
Violent et agressif, le groupe de Stephen Lawrie, à ses débuts, ne ménageait pas ses propos : le rapport que ce dernier entretenait avec le monde était confus. Car détourné de la réalité par la main mise des substances psychotropes sur sa perception, il ne retiendra que des échos vils, rauques et vitreux. Des titres comme « Oil Seed Rape » ou « Threadbare » ne feront que succéder des sursauts furieux et soudains à des chutes de tensions atropes, pour assommer l’auditeur. Des fulgurances hardcore dans un monde de pop. A l’époque, on n’avait jamais osé.
Bousculant, malade, brumeux, l'ensemble de l'album transpire la sueur, et une sueur riche en produits malhonnêtes. C'est que Stephan Lawrie, génial leader mais perturbé, nage dans la drogue avec autant de facilité que s'il s'agissait de sucres en sachet, et ce, malgré ses overdoses. Et ce n'est plus des chansons que l'on retrouve mais de véritables témoignages d'une déchéance assumée, revendiquée et élevée au rang d'éthique à suivre.
Ce groupe est aujourd'hui rentré dans la légende, pour avoir signé, par ses chansons terribles et terrifiantes de noirceur et de tendances psychotropes, l’une des œuvres les plus influentes des années 80.
Et leur façon de recouvrir, de dénaturer leurs mélodies, jusqu'à agresser et les rendre inaudible, sera l'occasion pour beaucoup de renouer avec l'idée que l'on peut maltraiter la pop pour la sublimer plus encore. Implacable et presque effrayant de pessimisme camé, « Violence » se fait porteur d’un laïus qui laisse pantois de consternation, à base de couches de saturation et de déclamations répétées et appuyées avec la force d’un drogué, complètement allumé mais accroché à son discours décousu. Le tourbillon de « Anticipating Nowhere » se suspend au bon vouloir des caprices de Stephen Lawrie qui s’offre un pur moment de nonchalance, avec une basse géniale. Quant à « Please, before you go », sa lourdeur pèsera tant qu’elle élèvera la chanson au rang de supplique suprême à la paresse et l‘indolence. C’est une chape sonore qui ressort de cet album. L’idée que tout est saccagé, que rien ne sortira indemne et qu’ici, les pédales wah-wah ou les distorsions sont là pour prendre d’assaut. Les hurlements de Stephen Lawrie sur l’hyper-distordu (et monumental) « Suicide » sont atterrants d’acharnement, avant de laisser la place à un véritable carnage.
C'est ainsi que les chansons de cet album se verront passés à la moulinette, portés par une voix malade et fatiguée, et massacrées par des guitares magnifiques de saturation, le tout soutenu par un rythme (basse comprise) effréné et emporté. Lorsque le groupe ralentit le tempo, il en ressort un single, autrefois culte, aujourd’hui mythique, à savoir l’insurpassable « Perfect Needle », dont la mollesse et les violons rouillées ne sont pas sans rappeler le Velvet Underground, autre formation de drogués notoires.
Ce disque, premier jet d’un groupe encore furibond et qui allait par la suite œuvrer dans les longues descentes de trip, demeure un sacré choc dans la culture anglaise : lançant le shoegaze à venir par ses saturations constantes, il se risque pourtant à des prises de positions effarantes. Clameur, goût malsain pour la rage et la vulgarité, esthétique psychédélique, sueur, relent de sexe et de débauche, le choc est à la fois sonique comme plus profond. C’est une éthique qui est lancée là, à la vue de tous.
Usant de guitares méchantes et tranchantes, le groupe livrera des titres consternant, en parodie de groupes défoncés par la drogue, cultivant le goût de la débauche tout en se dégoûtant eux-mêmes et en paradant dans leur crasse. Volutes de fumée à tous les étages et structures autodestructrices, l’album est avant tout un déclencheur : il provoque des envies de fuites, de trip, d’évasions. Un désir, surtout, qui s’imposera furieusement, comme une pulsion.
Personne ne le sait, mais tout le monde devrait le savoir, The Telescopes a influencé bien plus de groupes que tous les groupes majeurs de son époque.

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