3 juin 2007

Slowdive : Souvlaki


Souvlaki de Slowdive
Mythique !

Sortie : 1993
Produit par Slowdive et Ed Buller
Label : SBK / Creation Records


Album de chevet, album d’île déserte, album pour faire l’amour, album pour portrait chinois, album d’une vie et de toutes ses réincarnations s’ils existaient, Souvlaki demeure dès la première seconde une évidence, une réponse et une mise en bande-son de tout ce qu’on est, ce qu’on peut ressentir.
Allégorie parfaite d’un certain désir d’abandon, de déliquescence de toutes les entraves, ce recueil, véritable poème élégiaque, aussi léger et profond qu’un haïku, dessine délicatement les contours vagues et flous d’un nuage de mélancolie.
Slowdive réussit à nous toucher droit au cœur, grâce à sa modestie et sa sincérité. Avec de deuxième opus, le groupe soigne ses compositions et maîtrise à la perfection ses ambiances, son univers.
D'ailleurs, ça débute par le mirifique « Alison », un mille-feuille d’instruments, dont aucun ne prend le dessus sur l’autre, aboutissant à un ensemble cotonneux, d'où émergent des voix de chérubins, faisant tanguer le sens des réalités.
Ce qui saisit et perturbe autant, c'est la lenteur que prend le groupe à se dévoiler. Même les assauts les plus lyriques (« Machine Gun » et sa guitare sèche perdue), les paroxysmes instrumentaux, à grand coup de saturations, prennent le temps de s’appesantir sur la chanson, et ce uniquement après un long moment d'accalmie, où les mélodies se dévoilent timidement (« Souvlaki Space Station»), de peur de se fragiliser. Cette dérive ralentie cajole et berce doucement.
Bien vite, un minimalisme se fait de mise, à tel point que l'on se perd, qu'on se retrouve déboussolé, au milieu d'un paysage rachitique, où ne subsiste que de la neige, à perte de vue, ou bien des nuages de brumes vaporeuses, qui enveloppent et caressent, tout comme peuvent le faire les nappes de guitares et de claviers, ou bien les voix, tendres et tombantes comme une pluie d’or, lorsqu’il s’agit de la divine Rachel Goswell.
On ne peut pas s'immiscer dans cet univers à tout venant : il faut une disposition d'esprit, car le groupe est peu pressé d'en finir, n'hésitant pas à traîner en longueur pour dire trois fois rien, juste l’essentiel en fait. Mais pour peu que l'on soit téméraire, et que l'on force les écoutes répétées, on se laisse à chaque fois pénétrer par une déstabilisante mélancolie, parfois poignante lorsqu'elle atteint des climax ("40 Days"), à grand renfort de montée en puissance des guitares.
Mais le plus souvent, c'est l'ascèse qui gagne, et il faut se laisser couler au rythme de la batterie et des samples électroniques ("Sing", signé Brian Eno qui collaborera sur l’album, et son ambiance aquatique), descendu à un tempo tel qu'il flirte avec l'arrêt. C'est au cours de ces apaisements que toute la beauté du groupe peut se révéler, comme lors de cette fulgurante démonstration de douceur et de naturel qu’est « Here she comes ». Lorsque le ton se durcit par contre et que les voix éthérées et si sublimes se recouvrent d’aria électriques (« When the sun hit »), on atteint là des purs moments d'évasion.
Feutrée, cotonneuse, l'atmosphère que dégage l'album et qui envahit tout l'espace, celui de la pièce, comme de notre corps, se cristallise, s'étire le plus possible, en un minimalisme parfois haletant ("Melon Yellow"). La simplicité finit par rejoindre et fusionner avec la pureté pour aboutir à la plus belle démonstration de grâce et de contemplation. Slowdive regarde et se laisse aller. Non pas par paresse ou par pleurnicherie, mais clairement parce qu’il est parfois agréable de s’éloigner du chemin, pour aller contempler la Beauté et ne pas voir si elle se cache ailleurs, que là où on veut habituellement nous la montrer, notamment par l’absence quasi-totale de guitares lead. Le temps pris pour dévoiler ses ambiances, à la fois neutre et affligée, serre la gorge.
L'émotion est telle qu'elle subjugue, empoigne le cœur, et donne l'impression qu'on ne se remettra jamais de ce choc. Tout apparaît d'une telle beauté, d'une telle profondeur, d'une telle tristesse, que c'est tout notre être qui remonte à la surface, soudain libéré de ses poids, et qui voyage, là, éperdue et un peu bête, jusqu'à des hauteurs insoupçonné, naviguant dans le ciel, aux côtés d'anges, qui nous tiennent par la main, pour nous guider vers des contrées magiques.
On ne revient d'ailleurs jamais d'un tel voyage. Celui-ci est trop intriguant, trop lointain pour qu'on n'en ressorte tout à fait le même. Et le dernier message, transperçant d'honnêteté désespérant, celui lancé à travers les arpèges délicats de "Dagger", auquel répond la voix sublimement grave et légère de Neil Hastead, se fait l'écho d'un touchant romantisme soyeux, sublimé par un chœur magique, jusqu'à une candeur assumée et flirtant avec une tristesse propre à faire venir les larmes aux yeux.
Cette plainte met à nu ce qu’il se cache derrière le mur du son du shoegaze, une fois qu’on a déshabillé le groupe de ses costumes de guitares, un infini chagrin inconsolable…

2 commentaires:

  1. 100 % d'accord avec toi, "Souvlaki" est album de chevet, album d’île déserte...

    J'ai téléchargé, grâce à l'excellent blog de Joseph Ghosn (ex inrocks), un disque : "Pygmalion demos", tout aussi bon que l'original existant !!!

    a + +

    RépondreSupprimer
  2. Bonne... Description.
    C'est exactement ce que j'ai ressenti les 3 ou 600 fois que j'ai écouté cet album.

    RépondreSupprimer