1 juin 2007

My Bloody Valentine : Loveless


Loveless de My Bloody Valentine
Mythique !
Sortie : 1991
Produit par Kevin Shield et Alan Moulder
Label : Creation Records


Dès que la touche play est appuyée, le décollage se fait, les éléments ne sont plus maîtrisés, à l’image de cette impression tenace que le disque tourne mal, que le diamant glisse ou dérape, les nappes énormes de guitares font des mouvements de balancier, soutenus par une basse assourdissante, on se sent secoué, puis l’éclaircit arrive et on aboutit à un univers envoutant, cajolé par une voix angélique et duveteuse, et une batterie métronomique, avant de reprendre de plus belle dans la fusion mantellique. C’est « Only Shallow » et déjà on sait que cet album repousse les limites.
 Véritable millefeuille musical, Loveless explore les possibilités sonores obtenues avec des guitares, tirant tout ce qu'il est possible de tirer comme essence à partir d'accords parasités et molestés. A un point tel qu’on ne reconnait plus les guitares, mais qu’on ne distingue plus que des vrombissements, des passages de fantômes, des froissements d’ailes de papillon ou des décollages de vaisseaux (« To here knows when » ou « Blown a wish »). Cette saturation exagérée n'est que le signe d'une infinie douceur. En même temps extrêmement rêveur et romantique, pétrissant dans le même moule violence et mélancolie, l'atmosphère de My Bloody Valentine ressemble à une déflagration calfeutrée et au ralenti, à la traînée d’une comète au lointain, ou bien à un cri dans l’oreiller. 
Et les mélodies ne prennent alors de l'ampleur qu'à partir du moment où elles ont été étendues sur de longues minutes incessantes, au cours desquelles elles n'auront cessé d'être malmenées, écrasées, enrobées, étirées, recouvertes par un voile opaque. C’est sous un mixeur que la beauté de « When you sleep » peut apparaître, son riff agressif, ses vocalises adorables et ses sifflets. Même chose pour les guitares sèches de l’extraordinaire « Sometimes » qui ne sont jamais aussi lancinantes que lorsqu’elles sont souillées par un nuage de grésillement. Tout du long, les voix sont splendides, comme descendues du ciel. Loveless est-il l'album shoegaze ultime ? Beaucoup se posent la question. A défaut de réponses apportées avec certitude, cette interrogation met en avant le fait que trop rarement dans l'histoire de la pop music, on avait osé expérimenter tout en souhaitant ardemment rester dans un esprit pop. Les londoniens, eux, l'ont fait.
Ils sont allés encore plus loin que le discours. Ce n’est même pas la peine d’ailleurs d’essayer d’entendre les paroles. Les lignes de chants se limitent souvent à de longs « ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh » répétés inlassablement, suaves et d’une légèreté incomparable. Et si on arrive à comprendre quoi que ce soit, c’est pour tomber sur des textes cryptiques, composés de non-sens ou d’allégories. Cette musique a coupé court aux mots, aux sens, aux messages, pour les dépasser et ne livrer qu’un bloc uni de sensations, dont l’impact est plus du domaine de l’intuitif que de la raison. Des morceaux comme « What you want » ou le terrifiant et écrasant « Come in alone » ressemblent à un débordement de lave envoûtant et mystique qui s’échapperait de la platine pour couler et se répandre partout. On ne retient que l’image de la pochette, sorte de pertinence rétinienne, de mirage indélébile. Cette guitare floutée sous un voile rose qui se fait métaphore du contenu. A moins que ce ne soit l’inverse. Ici, ce sont les sensations qui auront le pouvoir. Plus tacite que rationnelle, la machine de My Bloody Valentine explose tous les repères traditionnels. Là où d’habitude la batterie est toujours le point d’accroche, ici, elle passe au second plan. Là où les guitares s’emballent, elles glissent lentement vers une monotonie saisissante. Là où le chant s’engage, il se fait androgyne et vaporeux. Le résultat ne ressemble à rien de connu.
Il n’y a plus vraiment de chansons d’ailleurs, mais des plages, des plages quasi-interminables de bidouillages ramassées sur eux-mêmes, un nuage bourdonnant de couleurs et de viscosités, de coulées, de choses qui disparaissent, d’autres qui apparaissent. Aboutissement de plusieurs années de travail acharné en studio, Loveless révèle toute la démesure et la folie de Kevin Shields, bidouilleur du son pointilleux, monomaniaque et perfectionniste. Au sein de ce fouillis sans nom, pourtant d’une production impeccable, il n’y a plus qu’à se laisser envahir de sensations gluantes, merveilleuses, qui prennent tout l’espace et envahissent chaque parcelle du corps. 

Fasciné par une telle chape de plomb, il est difficile de s’extirper et pourtant, c’est noyé par cette nasse, qu’on surprend une grâce sans pareille. Le riff addictif qui se réitère à l’infini de « Soon », accompagné par un petit rythme secouant à la batterie et par des zébras de saturations, trotte dans la tête pour longtemps. Jusqu’à avoir l’impression d’être vraiment parti dans un autre monde, magique et féérique, le tout, rien qu’avec des saturations de guitares et des embryons de chants. Et il n’y a que My Bloody Valentine pour avoir accompli un tel miracle.

6 commentaires:

  1. Premièrement, je te félicite pour ton blog très fourni et intéressant (en tout cas pour moi, amateur de shoegaze depuis peu, je ne connaissais que MBV avant).

    En fait j'avais une question à propos de Loveless, ou plutôt du morceau "Touched". Je voulais juste récolter ton avis sur ce morceau que je trouve... que je trouve quoi au juste? Je n'ai jamais réussi à savoir ce que je lui trouvais à ce titre... D'un ridicule affligeant en premier lieu, puis me demandant ce qu'il foutait sur cet album merveilleux. ce qui m'empechait absolument pas de l'écouter à chaque fois (50 secondes c'est supportables...). Je le détestais pas, c'est juste que...

    Je n'ai jamais compris ce "morceau" en gros.

    Euh, voilà. Commentaire un peu inutile je dois l'avouer, mais bon ça m'a permis de te féliciter au moins.

    Continue comme ça! pour une fois qu'un blog m'intéresse^^.

    A la revoyure.

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  2. Il est vrai qu'un morceau court, uniquement composé à base de samples, peut sembler surprenant.
    D'ailleurs, il faut savoir qu'il s'agit de l'unique titre écrit et produit par le batteur du groupe, Colm O'Closoig.
    Alors pourquoi Kevin Shield, qui avait la main mise sur cet album a-t-il choisi de l'intercaller ?
    Probablement pour l'effet qu'il procure : l'absence de guitares créé une sensation de flottement, d'apensenteur. De plus, les samples sont flous, comme si la bande avait trop chauffée. Cela créé la sensation d'avoir à faire à un nuage, qu'on traverserait.
    Il faut le voir comme une sorte de "pause auditive", une manière de planer, un peu comme un silence. C'est sans doute l'instant le plus expérimental de l'album, celui où les bases même du rock sont balayées.
    Evidement, cela peut sembler déroutant, mais si on y réfléchit bien, l'utilisation de samples était à l'époque avant-gardiste, et a été repris plus tard par le trip-hop par exemple ou l'electronica.
    Je pense qu'il vaut mieux prendre ce morceau, qui reste court, comme une porte d'entrée pour laisser tomber les certitudes, le côté raisonnable et intellectualisé des choses, pour se concentrer sur les impressions à venir et qui ne vont pas manquer d'affluer à la suite de l'album...

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  3. Que rajouter d'autre sur l'un des meilleurs albums rock de tous les temps...
    la perfection serait donc bien de ce monde?

    En tout cas, moi, j'ai ma place pour le Zénith du 9 juillet...

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  4. De même que cela a été déjà dit, bravo pour ton blog qui est LA BIBLE du mouvement shoegaze. A ma connaissance, le seul et unique autant fournis, pertinent et passionné...

    Au moment où j'écris ces lignes, j'écoute "Loveless". Ou plutôt je voyage avec/ou grâce à "Loveless". Car cet album est bel et bien une formidable machine à voyager et planer. Un voyage comateux, comme dans un rêve éveillé.

    Tu dis : "Après cet album, le rock aurait du s’arrêter. Rendre les armes. A quoi bon discourir lorsque tout a été dit ?" Oui et non. Car des années 90 sont apparues, par exemple, RADIOHEAD !!
    Et eux prouve que tout n'a pas été dit, ou fait. L'expérience sonore continue, errance sans fin, anneau de Moebius continue. Partir du passé, dans ce présent, pour construire l'avenir. Et RADIOHEAD est aussi le fruit des expérience de MBV.
    L'expérience sonore continue bel et bien, et pour longtemps...

    A + +

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  5. Cher lecteur, merci pour tes propos chaleureux, continue à être assidu et à participer au site, cela fait plaisir.
    Pour répondre à ta remarque, évidément que cette phrase était éminément emphatique et de mauvaise foi quelque part. Radiohead (et tant d'autres !) mérite autant d'éloges que My Bloody Valentine.
    Mais il faut reconnaître qu'en matière de saturation pop, Kevin et sa bande ont adopté la logique suivante : "faisons une musique de telle sorte qu'on n'ait plus à rien dire derrière".
    Vic

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  6. je crois que touched n'as pas été écritpar kevin c,est pour ca qu'iil est si différent

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