
Whirlpool de Chapterhouse
Indispensable !
Sortie : 1991
Produit par Chapterhouse, Ralph Jezzard et Robin Guthrie
Label : Dedicated
Whirpool rassemble tout ce qui fait le
charme du shoegaze, entre guitares virevoltantes, atmosphère trompeuse et
légèrement suintée d’irréel et chant en pluie d’or. Cette ambivalence commence
dès le superbe « Breathe », écartelée entre son rythme martial, ces
roulements à la batterie et à la basse, et ces vocalises soufflées comme s’il
s’agissait de râles de créatures angéliques. Pour qui voudrait avoir un exemple
de ce qu’est ce style, cet album en est la parfaite incarnation.
Les gens ont d’ailleurs cru qu’il ne
s’agissait que d’un empilage d’effets spéciaux, des gadgets de techniciens de
studio, « Something more » ayant été produit par Robin Guthrie par
exemple. Pourtant Stephen Patman met les choses au point : « La plupart
des gens pensaient qu’on utilisait des synthés mais tout était fait à base de
guitares »[i]. La confusion provient de
cette base dansante que distille avec parcimonie Chapterhouse. Une rythmique
baggy qu’on devine, par exemple sur le trémoussant « Falling Down »
ou le break de « Pearl ». Les tempos sont dansant, voire
transcendantaux, tout en conservant une utilisation frénétique des guitares
pour des dessins colorés. On est sur la corde tendue tout du long, entre songe
aérien et torture bruitiste (« Falling Down »). Les morceaux refusent les
schémas simples et sont remplis de chausse-trappes mélodiques, avec passages
psychédéliques, coupures, et petites surprises brusques (« Autosleeper »). Andy
Sheriff se souvient : « On voulait créer une musique qui faisait te sentir
dans un état proche de la défonce, mais sans avoir à prendre de drogues. On
avait une approche psychédélique des choses, mais selon un concept plus
moderne, plus éthérée, plus poussée encore, juste à partir de bruits qui te
faisait tourner la tête »[ii].
Les chansons tirent parfois vers
l’abstraction pure, comme le sublime et aérien « April » ou « Treasure »,
parcouru de parasites industriels et son passage planant s’achevant dans le
brouillard. « Nous, on fait de la
musique psychédélique mais pop. C’est ce qui la rend subversive »[iii]. Ainsi « If you want me »,
qui démarre avec une toute petite mélodie, un xylophone et une jolie voix douce
et fluette, installe petit à petit de plus en plus d’instruments, une batterie,
des claviers, jusqu’à s’arrêter d’un coup… puis reprend plus fort, plus
majestueux pour un vrai moment de pure magie, s’achevant alors dans une
déferlante.
Stephen Patman, guitariste,
précise : « On veut juste
expérimenter diverses palettes d’émotions. On essaye de créer des ambiances.
Nos chansons ne sont pas écrites pour dire quelque chose d’intelligible. A la
base, la musique, c’est juste de l’évasion, et on veut juste créer un bel
espace propice à l’évasion. C’est pourquoi, lorsqu’on a une idée de chanson, on
écrit les paroles en dernier. »[iv]
Une douce mélancolie vient d’ailleurs s’immiscer dans ce déluge, notamment sur
l’ébouriffant « Guilt » : « Les
gens pensent qu’on est amorphe mais on fait de la musique de façon très
intense. La musique ne doit pas juste être esthétique, elle doit porter un
message. Mais les messages sont intériorisés. »[v]
D’ailleurs leur manière de chanter renforce ce credo. Stephen et Andy
n’hésitent pas à en rajouter dans les voix, adoptant une position très
aérienne, presque asexuée, céleste, ce qui rend les choses encore plus
hypnotiques. Même si cela est entrecoupé d’assauts ravageurs, par exemple sur
« April » qui se déforme et prend une texture fondante, on se laisse
accrocher par une touche de légèreté. « On a toujours senti que les voix
étaient juste une partie de la musique, un instrument comme un autre.
Seulement, en les écoutant après, on pouvait se demander ce qu’ils voulaient
signifier ! »[vi]. En effet, les voix sont
tellement en retrait, haletées, qu’il est presque impossible d’entendre quoi
que ce soit. « On pensait peut-être inconsciemment que nos textes n’avaient
pas d’intérêt »[vii] avoue Andy.
Tout le côté sexe, drogue et rock
n’roll, s’il existait au sein du groupe, pendant les tournées notamment, il ne
s’entend pas sur l’album. Pour ceux qui honnissent le shoegaze, il est la cible
parfaite de toutes les critiques. Le charisme n’est pas le propre du
groupe : « On n’est pas
vraiment un groupe agressif ou rageur, on est plus cyniques et désabusés. »[viii] Quant à la reconnaissance
qui leur tendait les bras, ils seront loin de la désirer. « Il n’y avait
vraiment rien de bon dans le circuit commercial et il était impossible d’y
rentrer de toute façon, reconnaît Stephen Patman, le seul moyen pour un
groupe comme nous de se faire connaître, c’était de se lancer à l’assaut des
charts indépendants, ce qui était un ghetto en soi. »[ix].
Prenons comme exemple le single extrait de l’album, le sublime
« Pearl », au cours duquel la délicieuse Rachel Goswell de Slowdive
prête sa voix, chaloupé et précieux. Pas forcément l’idéal pour permettre des
ventes à la pelle. Pour Andrew : « On défigure la musique avec ce morceau, en y ajoutant un certains
nombres de twist. Bien-sûr, avoir du succès, ce serait sympa, mais ce n’est pas
le but. Dans un sens, ce serait une catastrophe si « Pearl » était un
hit, parce que les gens attendraient alors beaucoup de nous et nous mettraient
une sacrée pression. »[x] D’ailleurs,
malgré une honnête place dans le Top 30 des charts, le succès ne viendra jamais
pour cet album. Chapterhouse aura beau par la suite entrainer sa musique vers
une tendance electro, héritée des boites de nuit, le groupe s’éteindra très
vite, sans que personne ne s’en soucie vraiment. Stephen regrette :
« les gens sont si impatients, ils
veulent tout avoir sur le champ. »[xi]
Mais pour les amateurs, Whirpool est à ranger
au plus haut sur l’étagère, bien en évidence, notamment pour sa pochette culte.
On retiendra pour conclure, cette formule à propos du journaliste Andrew Perry,
qui les a beaucoup suivi, « Chapterhouse était à la fois dans le coup et en
dehors du coup »[xii].
[i]
Stephen Patman cité par Andrew Perry, Whirpool
reissue, courtesy of Cherry Red Records, mars 2006.
[ii]
Andy Sheriff cité par Andrew Perry, op. cit.
[iii]
Stephen Patman cité par Steve Sutherland, sur Melody Maker, 12 octobre 1991,
[en ligne] http://www.comeheaven.com/press/mm-12oct91.html
[iv]
Stephen Patman sur Siren #1, [en ligne]
http://www.comeheaven.com/press/siren-issue1.html
[v]
Andrew Sherriff cité par Simon Williams, sur NME, 12 octobre 1991, [en ligne]
http://www.comeheaven.com/press/nme-12oct91.html
[vi]
Andy Sherriff cité par Andrew Perry, op. cit.
[vii]
Idem
[viii]
Chapterhouse cité par Roger Morton, sur
NME, 18 août 1990, [en ligne] http://www.comeheaven.com/press/nme-18aug90.html
[ix]
Stephen Patman cité par Andrew Perry, op. cit.
[x]
Andrew Sherriff cité par Steve Sutherland, op. cit.
[xi]
Stephen Patman cité par Paul Lester, sur Melody Maker, 20 octobre 1990, [en
ligne] http://www.comeheaven.com/press/mm-20oct90.html
[xii]
Andrew Perry, sleeve notes, op. cit.
J'ai racheté il y a peu la réedition 2006 de ce CD complétée des titres présents sur les divers EP du groupe...malheureusement , la version originale ( donc soft) de SOMETHING MORE a disparue..au profit de la ( non moins belle) plus rageuse version..dommage que les 2 version n'aient pas cohabitées..
RépondreSupprimerEmmanuel
"Blood Music" est également très réussi, même si un peu moins éthéré."Greater Power" vaut bien les morceaux de "Whirlpool", vous ne trouvez pas ?
RépondreSupprimerJe suis en tout cas très content d'avoir ces deux albums en CD.
A noter, ça s'est peu sû (car beaucoup de leurs fans n'ont aucune culture musicale) que INDOCHINE a éhontément pompé "Breather". http://www.youtube.com/watch?v=d4BeKpWjQok RDV à 4:24...et oui !