6 octobre 2009

Bizarre : Beautica


Beautica de Bizarre

Sortie : 1994
Produit par Lauri Liivak
Label : Salli Cinnamon Music

A chaque fois c’est pareil, peu importe la plage sonore, Bizarre refuse de se mettre en avant. Au lieu de ça, on a le droit à de drôles de chansons, qui vivotent, se déploient insidieusement, qui se meuvent comme des fluides, des effluves, des secousses, des ondes.
Le travail sur le rythme (exceptionnel ici), un coup secouant, un coup plus souple, un autre rappelant la froideur de la féerie, est ensorcelant : par-dessus les saccades, sont versés des litres de guitares veloutées et des voix suaves à souhait, chantant dans un pur détachement et une pure nonchalance d’anges.
Souvent les ambiances sont étranges, crépusculaires, contemplatives même, comme sur le superbe « Broceliande » et sa ligne de basse absolument culte, que n’aurait pas renié Simon Gallup, le musicien des Cure, époque Seventeen Seconds ou Faith. Et comme il n’y a aucun couplet ou aucun refrain auxquels s’accrocher, on n’a plus qu’à se laisser envoûter par des mélodies qui s’égarent, surgissent, sont à peine là, suggèrent plus qu’elles ne démontrent, sans parler des voix éthérées, féminines comme masculines, qui apparaissent tels des fantômes, tant elles se disputent au silence.
Le tempo à la batterie, presque flippant de méticulosité et d’opiniâtreté à se maintenir raide et dur comme la pierre, structure tous les morceaux, qui ne sont plus alors que des écrins parfait à la plus pure évasion. C’est à partir de cette folie sous-jacente, que va se développer les plus étranges desseins, à coup de trips métaphysiques, de déclamations magiques (« Painting the silence »), de grâce perdue, de turpitudes d’une lenteur infinie, voire même de perte de repère (l’instrumental élégiaque qu’est « Dream Reverence ». On pense bien sûr à Slowdive, mais aussi à beaucoup de groupes de dream pop, comme les Cocteau Twins ou Dead Can Dance, pour ce souci du travail sur les atmosphères.
La basse glaciale associée aux coups lourds sur le divin « Pearshell Fairy » vire vers un crépuscule, tandis que l’ouverture magique de « Slow », qui se noie sous ses propres déferlantes de saturations, déploie un laconisme qui laisse pantois. Voilà une formation qui se contente de dépeindre une mise en abîme. Le résultat atteint bien souvent des sommets, où on a alors du mal à savoir si ce qu’on écoute est réel : « Ornaments » frise le merveilleux. Et l’atout du groupe est de jouer sur ce tableau : le doute. Au grès des ondes et des fluctuations, des nappes enchanteresses, de la nonchalance raffinée qui caractérise les vocalises aériennes, les échos de guitares toujours fantastiques, on navigue au final dans un monde dont on sait qu’il a été fabriqué de toute pièce, mais au sein duquel on ne se demanderait pas s’il y a pas plus de justesse que le monde réel.
Sachant très bien que la musique que propose Bizarre n’a rien de concret, elle devient alors le terreau idéal pour se laisser aller et y apposer nos propres projections, qui dès lors s’envolent et se font une nouvelle vie…

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